La terrine ? S’y intéresser fait découvrir une recette inédite. Cette fois, mes amis s’étonnent : pourquoi s’intéresser à ce mot, alors que nous savons tous que c’est un récipient en terre ? Ou ce qui est cuit dedans, telle de la viande hachée ? La réponse est : oui, tout cela est vrai, mais mes explorations historiques des livres de cuisine anciens m’ont fait arriver à une recette de « terrine » tout à fait inédite et merveilleusement appétissante.
Commençons avec le mot « terrine », qui est déjà utilisé en 1412, mais orthographié « therine », pour désigner un récipient en terre. Ce mot vient de l’ancien adjectif « terrin », qui signifiait « réalisé en terre » (on retrouve « terrain » dans notre mot « souterrain). Rien d’extraordinaire là dedans. Et, par extension, c’est au moins dès 1684 que l’on désigne également par « terrine » ce qui a été cuisiné dans une terrine et qu’on sert froid ».
Bon, tout cela va bien.
Et il est donc parfaitement juste de désigner par « terrine de campagne » de la chair hachée qui est cuite dans un récipient en terre. Et dès ici, on note la différence : une terrine est cuite dans une terrine, alors qu’un pâté est cuit dans une pâte, qu’il soit ensuite servi chaud ou froid, cela étant dit pour tous ceux qui font la faute de parler de pâter en croûte (ou pâté croûte), alors que ce sont seulement des « pâtés froids ». Inversement, tout le mot « pâté » est malhonnête quand il désigne un produit qui ne comporte pas de pâte : ne laissons pas des communautés détourner des mots pour des raisons mercantiles !
Mais bon, gardons ce combat pour un autre moment, et consacrons nous à notre découverte historique : c’est dans Le cuisinier royal et bourgeois, publié par François Massialot en 1705, que je trouve cela. Massialot ? Un Limousin né en 1660 et qui, dans la préface d’un de ses livres, se décrit comme « cuisinier royal », parce que les plats qu’il décrit ont été servis à des tables royales.
Que l’on en juge maintenant avec la « terrine » qu’il décrit :
« Ce qu’on appelle terrine est une entrée fort considérable: voici ce que c’est. Il faut avoir six cailles, quatre pigeonneaux, deux poulets & un carré de mouton coupé par morceaux. Mettez cuire le tout à la braise dans une terrine, à petit feu, avec des lardes de lard au fond, de peur qu’il ne brûle ; ou du petit lard coupé par morceaux. Etant cuit, ôtez la graisse & mettez en sa place de bon jus de veau, des coeurs de laitues blanchis & cuits, un peu de purée de pois verts, avec de petits pois ou des pointes d’asperges. Laissez-les cuire encore quelque temps ensemble, & ne servez qu’après avoir bien dégraissé. »
Même si l’on change un peu les proportions, tout cela doit avoir bon goût, n’est-ce pas ? Mais, est-ce servi chaud ? Ou froid ? Les oiseaux sont-ils désossés ? Est-ce une masse homogène, ou bien sert-on cela étalé ? L’imprécision de la recette laisse de la liberté aux artistes culinaires d’aujourd’hui !
Et, d’ailleurs, à ce propos, je termine en répétant que la cuisine, comme la peinture ou la musique, est soit un artisanat, soit un art. Artisanat, le critère est la répétition, selon des critères techniques (un steak grillé doit être « bien » grillé, une mayonnaise doit être bien émulsionnée, etc). Mais quand il est question d’art, se pose alors la première question : le chef est-il un interprète ou un compositeur ? Et, enfin, quel est son « style » ?
Hervé This