Takashi Kinishita, dans les cuisines du Château de Courban, son équipe composée uniquement de japonais !

Takashi Kinoshita : du Japon à la Bourgogne

Situé dans un village du nord de la Côte d’or, se niche le château de Courban et son restaurant gastronomique. Sa particularité : l’équipe complète en cuisine est japonaise. À leur tête, Takaski Kinoshita, qui a quitté son pays par amour pour la belle gastronomie française.

Souriant et calme, rencontrer le chef étoilé Takashi Kinoshita est un pur plaisir. Il respire le bonheur de pouvoir faire ce dont il a toujours rêvé : la belle cuisine française. Pour réussir, il a fallu se battre « mes parents et mes grands-parents étaient professeurs à Tokyo. Comme j’étais bon à l’école, ma voie était toute tracée. Mon père avait tout programmé… », confie-t-il.

La terrasse dpour apprécier la cuisine du chef Takashi Kinoshita ©Château de Courban

Le prestige de la veste blanche

C’était compter sans l’engouement, et l’obstination, du jeune Takashi. « J’accompagnais ma mère quand elle allait acheter le poisson. À 13 ans, je voulais absolument travailler chez le poissonnier. Mon père a fini par donner son accord, à condition que je continue à avoir de bonnes notes à l’école. Alors j’y allais le matin de 5h à 8h et j’y retournais à la fin des cours. Les nuits étaient courtes, avec 2 à 3 heures de sommeil, mais cela ne m’a jamais posé de problèmes. Aujourd’hui, 4 h me suffisent, avec une petite sieste. »

La famille de Takashi Kinoshita ©château de Courban

Le jeune garçon travaillait si bien, que le poissonnier lui versait un vrai salaire à la fin du 1er mois. «C’était incroyable, à 13 ans, de gagner autant d’argent, se réjouit-il encore aujourd’hui. Après ce premier succès, il était hors de question pour Takashi d’aller à l’université pour devenir enseignant. D’autant, qu’il était impressionné par des reportages sur Paul Bocuse. « Avec sa stature, sa veste blanche, il représentait l’excellence de la cuisine française et j’ai rêvé d’enfiler un jour une veste blanche comme lui! »

Sa famille s’en est trouvée divisée, mais finalement, Takashi a le droit de suivre les cours d’une école de cuisine réputée à Tokyo (il a été élu meilleur élève de sa promotion) avant de découvrir la cuisine française auprès de Minoru Adachi au restaurant Bizen. « Je suis resté en contact avec lui, il suit mon parcours et vient régulièrement au château Courban, » se réjouit Takashi. C’est lui qui l’envoie pour un stage en France, à Dijon au Pré aux Clers… C’était en 2002. 20 ans plus tard, il est toujours en France avec un joli palmarès à son actif : demi-finaliste Meilleur Ouvrier de France en 2015, une étoile Michelin en 2018, élu jeune talent Gault et Millau, puis il décroche le prix du trophée de la mer et de la pâtisserie du guide jaune.

Takashi Kinoshita portant fièrement sa veste blanche !

À Dijon, il rencontre son épouse Satomi, cuisinière comme lui. Après un passage dans les cuisines de l’Elysée, Takashi arrive à Vaison-la-Romaine au Moulin à l’huile du chef Robert Bardo, 2 étoiles et Meilleur Ouvrier de France, « Il était comme mon âme sœur, travailler avec lui, c’était comme une initiation… ».

Tataki de crevettes moruno et caviar par le chef Takashi Kinoshita  ©château de Courban

Lors du décès de Robert Bardo en 2014, Takashi a épluché les petites annonces en quête d’une nouvelle place. Et à Courban, la famille Vandendriessche cherchait un nouveau chef, qui permettrait à leur « château », une belle demeure ancienne avec beaucoup de charme, de monter en gamme. « Un cabinet de recrutement nous avait présenté une quinzaine de chefs, mais je n’en voyais aucun représenter notre maison, explique Frédéric Vandendriessche. En désespoir de cause, Frédéric et son frère Jérôme répondent à des petites annonces, dont celle passée par Takashi Kinoshita.

La famille Vandendriessche ; Christine et Pierre, leurs fils Jérôme et Frédéric
A côté du restaurant, le Pigeonnier abrite une des suites de l’hôtel ©Château de Courban

Un Japonais à la campagne

Pourquoi un Japonais ? « Il nous fallait une personnalité qui marque, et les chefs japonais étaient alors un peu à la mode. Les Japonais sont toujours en quête de l’excellence. Nous avons tout de suite su que c’était le bon ! » Les Vandendriessche n’ont jamais regretté leur choix : la condition de l’embauche était l’obtention d’une étoile avant 2020. « Nous l’avons reçue en 2018, se réjouit Frédéric Vandendriessche qui laisse carte blanche à son chef. « Takashi n’est pas seulement un excellent chef, il a également de grandes qualités humaines, il est généreux et communicatif, est à l’aise aussi bien avec les producteurs de la région qu’avec un ministre ! »

Takashi Kinoshita Sae Hasegawa décrochent en 2020 le Trophée Cuisine de la mer et le trophée Patisserie du Gault et Millau. Ils posent avec Zakari Benkhadra ©Sandrine Kauffer-Binz

Lors de la fermeture des restaurants due à la pandémie, Takashi était malheureux. Cuisiner pour sa grande famille ne lui suffisait pas. « C’est important pour un cuisinier de continuer son travail ! Les Japonais ont aussi un fort esprit d’entraide et j’ai donc décidé de fournir des repas au personnel soignant au CHU de Dijon. J’ai commencé tout seul, mais d’autres chefs se sont joints à moi et finalement, nous étions une vingtaine à préparer 2000 repas. »

Avec le chef sommelier Jean-Noël Rahmani ©château de Courban

Depuis sept ans, Takashi Kinoshita vit dans un village bourguignon perdu, un peu « au milieu de nulle part ». Il s’y sent chez lui, dans son pays du cœur. Au point d’avoir encore agrandi la famille. « Nous avons six enfants, de dix mois à 11 ans », sourit-il tout fièrement en s’émerveillant qu’ils parlent français sans accent.

La famille de Takashi Kinoshita “à la maison, on mange avec les baguettes !”

Si à la maison les enfants réclament des plats japonais, au restaurant, c’est la belle gastronomie française qui s’affiche au menu. Avec quelques touches gustatives en hommage au pays du soleil levant. « Il a fallu sélectionner les producteurs régionaux, trouver mon style. Mes connaissances des techniques japonaises me permettent d’apporter des petites touches aux différents plats. Comme mon épouse a la main verte et qu’il n’est pas toujours facile de trouver toutes les épices japonaises qu’elle aime utiliser, nous avons planté un potager où nous cultivons environ 150 variétés d’herbes aromatiques dont du shisho vert et rouge. Nous projetons de cultiver aussi des légumes comme le potimarron japonais, du piment-poivron de Kyoto. À terme, nous voulons produire 70 % des légumes utilisés au restaurant, » affirme Takashi que l’on peut également voir s’activer dans ce vaste jardin à côté de son équipe de cuisine.

Bœuf charolais, avocat, légumes racines et miso ©U. Laurent

Une brigade constituée exclusivement de… Japonais !

« Il est difficile de trouver du personnel français. Les gens me disent qu’on est trop loin de la ville », s’étonne le chef. Qu’à cela ne tienne. Grace à son réseau, il peut compter sur ses compatriotes qui viennent pour un an ou 18 mois, selon la durée du visa. « Cela leur fait une belle expérience et une bonne référence. Ils apprennent aussi le français. Il n’y a que la cheffe de pâtisserie, Sae Hasegawa, qui ne change pas, elle a un poste important ! » Les créations sucrées de Sae sont irrésistibles, tellement belles que l’on succombe rapidement à la douce tentation !

Sae Hasegawa, cheffe pâtissière du Château de Courban

Tout comme Sae, le chef reçoit de nombreuses propositions pour retourner au Japon. Mais cela ne le tente pas. « Au Japon, le métier de chef cuisinier n’a pas le même prestige qu’en France. J’irai peut-être occasionnellement en tant que consultant, mais pour l’instant ce n’est pas d’actualité. » Ce qui lui importe, c’est d’aller encore de l’avant, de devenir encore meilleur. « Je dois encore améliorer la base, sélectionner encore plus finement les produits, changer un peu l’offre par exemple avec des fruits de mer. L’équipe doit afficher une vraie cohésion, officiant en harmonie avec l’équipe en salle. »

La quête de l’excellence, toujours et encore… Pour le plus grand plaisir des fins gourmets qui viennent déguster ses délicieux plats aux touches finement japonisantes.

Par Ursula LAURENT

chateaudecourban.com

Poularde de Bresse, suprême nappé à la bière bio de Véezelay, cuisse en yakitori et jeuens pousses d’épinards, pommes soufflées et copeaux de diamant noir © Christophe FOUQUIN
Chou carré framboisier, des desserts comme des tableaux de Sae Hasegawa ©château de Courban
Vue du restaurant Orangerie ©Château de Courban