La sauce grand veneur : elle est apparue il y a seulement un siècle
La sauce grand-veneur ? Dans Wikipedia, le texte était à la fois anonyme et pas sourcé : il renvoyait à des sites actuels qui n’ont aucune légitimité ! Pour progresser, j’ai donc fait comme on a l’habitude de me voir faire : je suis parti de textes professionnels récents, et j’ai remonté le temps.
Le Guide culinaire cite la sauce, mais dans une version d’Auguste Escoffier : ce serait une sauce poivrade légère complétée, par litre de sauce, avec : 2 cuillerées de gelée de groseilles et 2 décilitres et demi de crème. Mais cela, c’est une sauce grand-veneur d’Escoffier, et pas une sauce grand-veneur.
Remontons un peu, et nous trouvons le Dictionnaire universel de cuisine de Joseph Favre, qui nous dit qu’il s’agit d’une « sauce spéciale pour les gibiers ou les viandes marinées », que l’on prépare ainsi
1. Faire un fumet de gibier ;
2. l’allonger avec de la sauce espagnole pour gibier, en la maintenant claire ;
3. d’autre part, réduire presque à sec du poivre concassé et du vinaigre ;
4. mouiller avec la sauce du fumet
5. lier avec du sang frais de gibier et du beurre frais en la montant au bain-marie ou sur un feu doux.
Favre ajoute que cette sauce doit être parfumée et mousseuse, et il donne une version plus simple : « dans les cuisines où l’on n’a pas de fond de gibier, on se sert de la demi-glace ou d’espagnole réduite. Plus promptement encore, on met le sang et le beurre dans une sauce poivrade et on la monte comme il est indiqué prédécemment ».
Mais avant lui, je ne trouve plus la terminologie « grand-veneur », et seule la poivrade est citée.
Par exemple, par Urbain Dubois, en 1868, qui prescrit d’émincer un oignon, de le faire suer avec du beurre, d’ajouter du jambon, bouquet garni, vingt grains de poivre, six clous de girofle, deux échalotes, du vinaigre et du fond de veau ; on réduit, puis on ajoute de la sauce espagnole, avant de finir avec une pincée de poivre blanc.
Un an avant lui, Jules Gouffé fait cette poivrade en cuisant vinaigre, échalotes, thym, laurier, girofle, persil, oignons, carottes, poivre mignonnette ; quand le liquide est réduit de moitié, on ajoute du bouillon, un roux avec beurre et farine, et l’on colore au caramel. D’ailleurs, il donne une autre poivrade à partir de marinade réduite avec roux, et il sert avec de la gelée de groseilles.
Encore avant, en 1806, Viard réduit vinaigre, persil, ciboule, laurier, thym et poivre, puis il ajoute une grande espagnole (ou un roux), du bouillon, et réduit à nouveau ; puis il ajoute carottes, oignons, persil, ciboules, et à nouveau vinaigre. Il ajoute « Il faut que le vinaigre et le poivre fin y dominent ».
Cela correspond environ à ce qu’écrit Briand quinze ans avant, à propos d’une « sauce appelée poivrade » : « Mettez du vinaigre dans une casserole avec un peu de jus de veau, une ciboule entière, un oignon coupé par tranches, une tranche de citron, poivre et sel ; quand la sauce a bouilli, passez-la au tamis, et servez chaudement. »
Et, un demi siècle avant, chez Nicolas de Bonnefons, je trouve la plus ancienne mention de cette sauce, qui se faisait seulement avec vinaigre et poivre !
Bref, la sauce grand veneur est une poivrade liée ; les groseilles, elles, étaient déjà un accompagnement des poivrades, lesquelles étaient initialement réduites à la plus simple expression : vinaigre et poivre. D’ailleurs, on mangeait souvent des légumes « à la poivrade », un peu comme à notre « croque au sel », mais avec du poivre au lieu de sel.
Par Hervé This