Pourquoi ne peut-on pas parler de « viande de synthèse » si l’on est un industriel ?
Au début des années 1990, les biologistes ont appris à cultiver des cellules musculaires afin de fabriquer des « tissus », des « organes », en vue de remplacer des parties du corps, en cas de besoin (pensons à un chien qui arrache l’oreille d’un enfant, par exemple). Et les progrès sont constants, depuis cette époque.
En quoi la cuisine serait-elle concernée ? En ce que des technologues se sont interrogés sur la possibilité d’avoir de la « viande » sans élever d’animaux. Des startups ont été créées, notamment sous l’impulsion de la NASA ou de Microsoft, et, aujourd’hui, des sociétés travaillent pour produire de tels produits.
Inutile de dire que la question technique n’est pas simple, contrairement à ce que laissent penser des reportages à spectacle, dans une presse de mauvaise qualité, et que, au contraire, tout reste à faire… à commencer par établir que ces produits ne vont pas nous empoisonner ! Ils devront ainsi passer par la réglementation « novel food », qui, heureusement très stricte, évite aux citoyens des dangers sanitaires aux conséquences potentiellement graves. Je ne dis pas que ces produits sont dangereux, mais seulement qu’il y a lieu de bien montrer qu’ils ne le sont éventuellement pas… ce qui n’est pas encore fait.
Mais, ici, dans cette rubrique terminologique, c’est la question du nom de ces produits que je veux discuter… en commençant par rappeler que la loi de 1905 réclame que les produits alimentaire commercialisés soient sains, loyaux et marchands. Je ne m’attarde pas ici sur « sain » ni « marchand », mais sur « loyal » : quand on vend du bœuf, ce doit être du bœuf, et pas du cheval ! Ou, encore, c’est une grave malhonnêteté que de vendre du « vin bleu » si l’on a ajouté un colorant bleu à du vin… car le produit réglementairement dénommé « vin » ne doit contenir aucun colorant. Et, personnellement, j’encourage les services de l’État à la plus grande sévérité, dans les affaires de déloyauté alimentaire. En tant que citoyen, je réclame des peines très lourdes pour les fraudeurs.
La viande ? C’est la chair des mammifères et des oiseaux en tant qu’aliment. Et, en conséquence, les tissus cultivés in vitro à partir de cellules musculaires ne sont pas de la viande, et ne doivent pas être nommés « viande ». Pourrait-il alors parler de « viande de synthèse », ou de « viande artificielle » ? Les petits esprits ne comprennent pas que de la « viande de synthèse », ce serait de la viande, tout d’abord, qui serait de synthèse, de sorte qu’une telle appellation doit être interdite. Même motif et même punition pour de la « viande artificielle ».
Les diracs
Et c’est la raison pour laquelle, quand j’ai fait une copie chimique de la viande, il y a de nombreuses années, je n’ai pas utilisé le mot « viande », et j’ai introduit le terme de « dirac. C’est aussi la raison pour laquelle j’exhorte les industriels à utiliser ce terme, qui ne prête pas à confusion. Interdisons la « viande de synthèse », et autorisons -si la nocivité est établie, et seulement quand elle le sera- des diracs variés.
Par Hervé This