Au détour d’une recette, dans un livre de cuisine du 18e siècle, je trouve une panade faite d’un bouillon et de mie de pain ; on fait bouillir, puis on ajoute des jaunes d’oeufs, du sel et du jus de citron. Etrange, pour qui suppose que la panade est ce mélange d’eau, de farine et de beurre que l’on confectionne avant d’ajouter des œufs pour une pâte à choux ! Partons explorer cette panade… dont le nom fait entendre le mot « pain ».
Le dictionnaire « officiel » qu’est celui du Centre national de ressources textuelles et lexicales nous dit qu’il s’agit d’une bouillie, composée de pain, de beurre et d’eau longuement mitonnée, additionnée souvent de lait ou de crème et de jaune d’oeuf. Ou encore qu’il s’agit d’une préparation à base de pain, biscottes ou farine utilisée comme liaison, le plus souvent pour les farces. Et il confirme que le mot est ancien : dès 1548, on le trouve dans la correspondance de Catherine de Médicis pour désigner une soupe faite d’eau, de pain, et de beurre.
Certes, mais comment le mot a-t-il été utilisé par les cuisiniers ?
En 1750, le Dictionnaire des aliments et des vins indique qu’il s’agit d’une « espèce de soupe ou de potage fait de pain cuit & imbibé dans le jus de viande ; on en fait aussi avec du beurre, du sel & de l’eau. La panade est un potage fait à la hâte ; on fait souvent des panades pour les convalescents, elles sont nourrissantes ; on en donne aux petits enfants sevrés en guide de bouillie ». On trouve bien le potage, ou plus exactement la soupe, puisqu’il y a du pain, et que la « soupe » est une tranche de pain mouillée par du potage.
Puis, en 1856, je trouve la panade dans Le pâtissier moderne, de Louis Bailleux: « Mettez dans une casserole cent soixante-quinze grammes de mie de pain ; versez dessus un quart de litre de lait; mélangez à la spatule ces deux ingrédients; posez votre casserole sur un feu ordinaire; continuez à remuer jusqu’à ce que le tout soit en ébullition et qu’il forme panade; renversez-la sur un plafond; étalez-la en couche mince et laissez-la refroidir. » Là, c’est une préparation pour pâtissiers, et qui fera la base de la pâte à choux.
Et, la même année, Urbain Dubois et Emile Bernard sont plus précis :
« Les panades sont spécialement destinées aux farces et aux purées. Elles y entrent en plus ou moins grande quantité, suivant la consistance et la solidité qu’on veut leur donner. Elles sont donc employées dans des proportions relatives au poids des viandes; l’excès et l’insuffisance nuisent également à la perfection des farces et ne donnent que de mauvais résultats. ». Ils donnent plusieurs recettes de panades :
- – une « panade de pain » : avec de la mie de pain, du bouillon, desséchée, avec beurre
- – une « panade de riz » : avec du riz cuit dans un bouillon, additionné de beurre, mitonné longtemps, et écrasé à la spatule, puis passé au tamis
- – la « panade de pâte à choux » : c’est notre panade de pâte à choux actuelle, mais pas avec de l’eau ! Ils la font avec du bouillon, du beurre, de la farine, et, d’ailleurs, je sais que des Bourguignons font leurs gougères avec une panade au vin blanc
- – de la panade de frangipane : cette fois, on délaye de la farine avec de la crème, des œufs, du sel, du beurre, et l’on cuit sur le feu doux pour donner la consistance d’une crème ; on travaille pour la dessécher comme une pâte à choux classique.
Mais nous nous arrêterons un peu plus tard, au début du 20e siècle, avec le Dictionnaire universel de cuisine pratique de Joseph Favre, si souvent pillé par les auteurs suivants. Il commence par bien dire que la panade est une soupe maigre, composée de pain, de beurre, d’eau et de sel, ajoutant que le mot désigne aussi un appareil servant à lier les farces de cuisine.
Puis il donne une recette de soupe à la panade, de panade aux biscottes pour bébé, une panade au lait. Pour les appareils, il distingue la panade au pain (pain, lait ou bouillon, beurre), une panade à la farine (notre panade de pâte à choux), une panade de riz… mais aussi une panade de fécule de pommes de terre, une panade d’amidon.
Et voilà : d’une simple bouillie, la panade est devenue bien plus élaborée, de sorte qu’il est légitime, aujourd’hui, de la considérer comme une préparation, dont la consistance est due à un féculent, qui est empesé, dans un liquide qui aura le goût que l’on souhaite, salé, sucré, à volonté.
Hervé This