Quand on consulte les bons dictionnaires (celui du CNRTL, le TLFi, le Dictionnaire de l’Académie française), on lit que les deux se lisent : œuf au plat, ou œuf sur le plat. Mais est-ce exact ? Reconnaître un usage actuel, pourquoi pas, mais si nous voulons un usage professionnel, si nous voulons bien distinguer des pratiques que les profanes confondent, que devrions-nous dire ?
Comme chaque fois, je réponds à ce type de questions en renvoyant vers le Glossaire des métiers du goût (). Mais encore faut-il que ce dernier soit au clair. Or il ne l’est pas, et il nous faut donc plonger dans les livres de métier.
Le Guide culinaire, récent et souvent fautif, parle d’œuf sur le plat ; il ne mentionne pas les « œufs au plat ». Joseph Favre est plus précis, avec son Dictionnaire universel de cuisine, publié quelques années avant. On y trouve :
« Œufs au miroir. — Formule 3,625. — Ce terme générique s’applique indifféremment aux œufs cuits sur le plat, ou aux œufs cuits dans la poêle et glissés sur un plat. On les coupe rond à l’emporte-pièce. C’est cette dernière méthode, qui a dû donner ce nom, parce qu’ainsi les œufs sont toujours plus cuits en dessous et conservent le brillant de l’œuf non coagulé dessus, et qui lui laisse le reflet d’un miroir. Mais depuis que les appareils de cuisine sont perfectionnés et que partout il y a des fours, on les passe généralement un instant au four pour les cuire également partout, ce qui leur fait perdre le brillant. »
« Œufs sur le plat. — Formule 3,626. — Faire chauffer du beurre frais dans un plat en porcelaine dont la grandeur est proportionnée au nombre d’œufs que l’on a à cuire ; casser les œufs dedans en ayant soin de maintenir les jaunes entiers ; laisser cuire doucement et passer une minute ou deux au four, selon que le convive les désire moelleux ou très cuits. »
Ainsi, des œufs cuits dans un plats seraient des « œufs au plat », mais des œufs cuits dans une poêle seraient plutôt des œufs au miroir.
Certes, mais Favre était suisse, et il ne cite pas ses sources, de sorte qu’il répercute seulement un usage, à nouveau. Nicolas de Bonnefons aussi, mais il est plus ancien, et cuisinier du roi de France. En 1654, il donne une recette d’œufs au miroir : « Faites fondre du beurre dans un plat puis cassez des œufs. Les ayant versés dedans sans crever les moyeux, mettez sur chaque moyeu trois grains de sel & râpez dessus de la muscade, y ajoutant un petit filet de verjus & les cuisez. Si vous voulez les retourner pour les cuire par-dessus, vous pourrez le faire quand ils commenceront à se lier. Si vous voulez aussi, vous les brouillerez pour tout mêler ensemble ». On notera que, à l’époque, le jaune d’œuf était le moyeu, mot que nous connaissons aujourd’hui pour les roues. Mais, surtout, ce que nous nommons œuf au plat est un œuf au miroir.
Et avant Bonnefons ? Je trouve à nouveau ces œufs au miroir chez Pierre François La Varenne, en 1651 : « Choisissez des œufs bien frais. Faites fondre un morceau de beurre aussi bien frais, avec vos œufs, & un peu de sel ; lorsqu’ils font cuits, mettez-y un peu de muscade & prenez garde que les moyeux ne foirent crevés ni trop cuits, puis servez ».
Et voilà : des œufs au plat sont cuits dans un plat, mais des œufs « sur le plat » sont plutôt des œufs au miroir.
Par Hervé This