Âpre : on dit le mot, mais de quoi s’agit-il ?
Un lecteur des billets terminologiques des Nouvelles gastronomiques me demande si l’âpreté relève de la saveur, du goût, de l’odeur ? J’ai peur qu’il confonde les différences sensations du goût, d’une part, et, d’autre part, qu’il confonde l’âpreté et l’âcreté.
Commençons par le mot âpre, qui a un sens premier qui n’est pas culinaire : est âpre ce dont les inégalités produisent une impression peu agréable. En matière de goût, est âtre ce qui produit une impression de rudesse. Le mot vient de aspre, qui signifie « pénible », au moins depuis le Moyen-Âge. On parlait, par exemple, d’un messager qui apportait des nouvelles « aspres ». Le mot a également signifié « violent », « ardent », mais aussi « avide ». C’était un sens figuré, parce que le sens premier était de présenter des aspérités, rudes au toucher ». Et c’est seulement plus tard qu’il a désigné ce qui produit des sensations désagréables. D’ailleurs, le mot « âpre » vient du latin asper, qui signifie « rugueux ».
Passons à « âcre », qui, lui, signifie piquant, irritant pour le nez, la gorge, le palais. Et il a ce sens depuis le début du 17e siècle. Le mot « âcre » semble venir du langage médical : on a parlé à cette époque d’une « urine âcre » (les médecins la goûtaient pour faire leur diagnostic) quand elle avait un goût qui imprimait un sentiment de chaleur brûlante sur la langue.
Et nous pouvons maintenant répondre à notre lecteur des Nouvelles Gastronomiques : pour l’âcreté, c’est du brûlant, donc ni une odeur, ni une saveur, mais une sensation que l’on dit « trigéminale », parce qu’elle résulte de l’activation du nerf trijumeau, comme pour les autres piquants et les frais. Par exemple, le piment a une odeur, une saveur, mais il a aussi ce brûlant qui est une sensation trigéminale. La menthe a une odeur, une saveur… mais aussi une fraîcheur, qui est une sensation différente, trigéminale.
Et pour l’âpreté, au fond, le monde culinaire utilise le mot pour un vin râpeux : selon toute probabilité, cette sensation n’est ni une odeur, ni une saveur, ni une sensation trigéminale, mais plutôt une astringence, due à des composés phénoliques.
Et cela me donne l’occasion de terminer en invitant mes amis à faire cette expérience :
– en se pinçant le nez, on met en bouche une pincée de thym séché, et l’on ne perçoit qu’une consistance de foin, mais si on libère le nez, alors une odeur de thym apparaît, preuve que le goût du thym est du à son odeur, et seulement à elle
– en se pinçant le nez, on met en bouche du sel, et on sent du salé, mais quand on libère le nez, rien de plus n’apparaît, preuve que le sel a une saveur, et pas d’odeur
– avec du vinaigre, la même expérience montre que l’on a une saveur et une odeur
– et avec la menthe, on a une odeur, une saveur, et une sensation trigéminale de fraîcheur
– pour un jeune vin rouge élevé en barrique neuve, on a odeur (le « bouquet »), saveur, parfois sensation trigéminale légère, mais aussi de l’astringence, ce resserrement de la bouche, qui est une autre sensation
– pour certaines matières grasses, on a en outre l’oléogustation
– et pour les produits qui contiennent du calcium, nous sommes également équipés de récepteurs qui nous permettent de le détecter
– sans oublier la température, la couleur, la consistance… et sans doute d’autres !
Par Hervé This