Mon Paris gourmand (1/3)

Quand je suis à Paris, je ne mange jamais Français. Je vais me perdre dans les quartiers Indiens, Chinois, Africains, Thaïlandais, Japonais ou Juifs. Nostalgie de mes nombreux voyages bien sûr mais avant tout je veux vivre l’aventure gastronomique, goûter les mille nourritures, qui ne me sont encore inconnues, sublimées par un frère cuisinier venu de lointaines contrées.

Chaque année, je pars 11 jours à Paris animer le Salon de l’Agriculture. Je vante le terroir d’Alsace, répond aux médias et devient en quelque sorte l’ambassadeur de la gastronomie Alsacienne. Cela me plait et cette année je me suis même réjoui à l’idée d’aller passer 11 jours dans la capitale et je choisi mon hôtel en fonction de mes restaurants préférés !

Paris ! Des milliers de gens défilent devant moi, goûtent les spécialités du terroir. Je discute, argumente, prie gentiment les nombreux et impolis pique-assiettes de ne pas reprendre plus de trois fois la portion dégustation (les exposants les appellent les « mange-mange » et les viticulteurs les « boit-boit »). Dans un bruit constant et sourd, sous la lumière artificielle, dans une atmosphère chaude et humide, je n’ai qu’une envie le soir venu : me retrouver seul, ne plus parler et voyager dans mon Paris gourmand.

Je pourrais dîner de la meilleure viande car l’entrecôte que je fais goûter aux Parisiens, m’est fournie par la COPVIAL, de la génisse maturée quatre semaines (Merci Lucien).

Le foie gras vient de la filière Ganzeliesel, la choucroute de la maison Baur, les produits laitiers d’Alsace Lait et la volaille Label Rouge des Ets Siebert. La qualité est là, mais j’ai besoin de poissons et de légumes et aussi de me retrouver assis devant de drôles de nourritures exotiques. Et puis marcher souvent au hasard, prendre le pouls de cette ville multiculturelle et interethnique, me fondre dans la foule pressée. Puis prendre le métro, regarder les Parisiens. Le métro : plus qu’un transport en commun, c’est un lieu public où les scènes de la vie, tendres ou tristes, violentes ou poétiques se succèdent à un rythme effréné, un vaste théâtre populaire ou chacun, pour survivre et se préserver s’enferme dans sa bulle. Dans les galeries nauséabondes du métro, une espèce d’hominidé est apparue : l’homo sapiens parisiannus métrononus. Ce dernier a acquis par habitude une incroyable résistance à la promiscuité, au bruit, à la chaleur, aux odeurs humaines et celles transpirantes par les égouts. Il possède la faculté de pouvoir rester quasi-immobile (avec ou sans oreillettes) pendant dix stations sans vous regarder une seule fois. Certains hybrides dorment et se réveillent pile à la station programmée. D’autres mutants sont coiffés de casque, les yeux hagards perdus dans leur monde. La majorité pianotent sur des écrans, ces outils puissants servant normalement à communiquer entre ses semblables. On ne se marre pas dans le métro. On va d’un point à l’autre. Heureux sont les usagers, qui arrivent à compresser le temps, à oublier pendant un voyage le wagon qui les transporte et les gens qui les entourent.

Oui, à Paris, je ne mange surtout pas Parisien. Je ne fréquente pas les écaillers, d’ailleurs hors de prix. Et de toute façon, les huitres au salon c’est Dédé, un ami Breton que me les offre quotidiennement, qui m’apporte souvent de superbes grosses langoustines que je partage avec les ami(e)s… La viande et le foie gras, j’en sers toute la journée et je sature ; la tête de veau, l’escalope aux champignons et les rognons à la crème, je sais faire. Je ne suis pas à Paris pour manger le petit salé-lentilles, des pâtes, une pizza, un döner ou un sandwich de station essence. Après une bonne journée passée au salon, je n’ai pas envie de m’attabler plusieurs heures dans un restaurant gastronomique. Et puis j’y mange assez toute l’année et j’ai envie de marcher.

A Paris, j’aime errer. Je ne peux m’empêcher d’aller vivre le quartier Chinois. Dans les gigantesques épiceries, je suis à la recherche des denrées que je ne connais pas, je discute avec les clients asiatiques présents et leur demande comment ils cuisinent cette racine, ces petits poissons sucrés, ce drôle de fruits ou cette pâte noire parfumée aux relents de figues séchées et de nuoc mam. Puis je vais dîner. Je connais un restaurant coincé entres deux immeubles. Dans la vitrine, un homme et une femme s’activent devant des gamelles vapeurs emplies de panier en bambou, à côté de canards laqués brillants suspendus par le cou. L’on n’y parle que Mandarin. La carte au papier défraichi, n’offre que peu de plats. Il s’agit d’un restaurant populaire spécialisé dans la cuisine d’une région de Chine. Je mange le meilleur canard laqué que je connaisse : un délice, sublimes chairs du roi des volailles domestiques.

Dans un restaurant de Choisy, je mangeais les meilleurs raviolis de Shanghai car je n’y vais plus depuis que j’ai entrevu la cuisine installée au sous-sol, en allant aux toilettes, ou du moins ce qui en faisait fonction. Toujours curieux, j’ai regardé par la porte entrouverte. Vous dépeindre le spectacle prendrait trop de temps : des gamelles étaient posées sur des cageots, des cartons jonchaient le sol pour absorber tout ce qui pouvait tomber des ustensiles crasseux. Une hotte poussive tentait tant bien que mal d’évacuer les vapeurs diverses. Puis le chef est sorti, m’a regardé méchamment. Il était vêtu d’un long tablier blanc plastifié et de bottes de jardin, le tout graisseux, à un tel point que j’ai cru qu’il avait pris un bain dans la friteuse… Je suis vite remonté par l’escalier en colimaçon, me frayant un passage parmi les cartons éventrés de riz et de crevettes séchées…Adieu les raviolis de Shanghai !

J’aimais aussi aller dans un des meilleurs restaurants chinois de la capitale pour déguster le « crabe en mue, sel et poivre », « les langues de canard au soja noir », « les nems impériaux », « les ragoûts de poissons salés ». La carte riche de quatre cents mets arrivait toujours à me contenter. J’étudiais consciencieusement la carte pour être certain de mon bon choix. Au bout de plusieurs passages dans la même semaine, j’avais sympathisé avec un serveur. Je le laissai choisir et ce dernier prenait un malin plaisir à me faire goûter aux plats exclusivement réservés aux notables chinois (il y a une carte spéciale pour eux). J’ai eu quelques émotions gustatives extrêmes comme ces intestins de porc farcis et frits puis baignés dans une sauce caramélisée ou d’autres spécialités intraduisibles pour mon hôte ! (Restaurant Sinorama, 118, avenue de Choisy). Mais je n’y vais plus depuis l’an dernier, après une nuit et un jour à courir aux toilettes… L’aventure gastronomique à un prix !

Bref, je ne mange plus guère dans le quartier chinois ! (Métro Tolbiac, Tram Porte de Choisy)

En poussant un peu plus loin entre la gare du Nord et le boulevard de La Chapelle, j’aime l’ambiance du quartier indien. Des échoppes s’échappent des effluves d’encens. Les devantures sont surchargées de fruits et légumes extra frais et quelquefois inconnus pour moi. Les étagères regorgent d’épices, de céréales et de riz. Des bougies d’offrandes au beurre de yack, en passant par les soies du cachemire et les savates de Bombay, on trouve de tout. Je m’arrête déguster les parottas, sortes de pains originaires du Kerala, réalisés devant vous par un cuisinier, qui lance la pâte en l’air puis la replit encore et encore. Il travaille dans la vitrine et on peut voire l’artiste depuis la rue. Ces pains sont ensuite cuits sur de grosses plaques épaisses puis farcis de ce que l’on veut. J’aime le goût de pain frais et de farine de ces parottas, dont la texture feuilletée-levée s’accommode tant du sucré que du salé (207 rue du Faubourg Saint Denis)

Non loin du métro Château d’eau, trouvez le passage Brady, une grande allée recouverte de tôles transparentes et bordée de part et d’autres de boutiques et de restaurants indiens. Un des meilleurs est « Yasmin » un petit nouveau. Goutez au riz à la cardamome et noix de coco. Les nans au fromage (vache qui rit) sont excellents. La cuisine est fraiche, les plats de viandes en sauce sont digestes et peu gras, le patron est poli et souriant, le serveur affable et les toilettes accueillantes…

Dans le quartier juif (Métro Saint Paul) je déguste rue des Rosiers et en apéritif les fameux fallafels cuisinés cashers avec la haute bénédiction du rabbin. Ce sont de petites galettes d’origine libanaise, frites et composées de pois chiche, ail, cumin, ciboulette et citron. Les versions diffèrent d’un vendeur à l’autre. En dessert, je m’engouffre dans les pâtisseries tenues par des juifs des pays de l’Est. J’achète des feuilletés au pavot farcis de crème au coquelicot. D’autres échoppes sont tenues par des juifs tunisiens ou marocains mais attention : personnes souffrant du cholestérol s’abstenir ! Puis je vais dîner « Chez Marianne » au 2, rue des Hospitalières Saint-Gervais, pour m’adonner à la dégustation d’une mosaïque de mets appartenant à la culture juive israélienne, grecque, autrichienne, hongroise, polonaise, russe…Un véritable festival de saveurs (Kefta, houmous, œufs de poissons fumés, caviar d’aubergine, poitrine de bœuf fumé, zazziki, feta, poivrons confits et légumes saumurés, pashka et excellent strudel aux pommes) Généreux, simple, du goût et pas de chichi.Puis je vais faire un tour chez « Mariages Frères » rue du Bourg Tibourg, le temple de l’art du thé avant de passer dans une des épiceries juives pour acheter quelques boites d’œufs de saumon fumé.

Il est tard, et j’ai encore tant de choses à vous dire. Je vous parlerai donc la semaine prochaine de mes restaurants préférés : les Japonais et les Coréens ainsi qu’un coup de gueule, après avoir été – contraint et forcé – à dîner dans un restaurant tenu par des …Alsaciens !

Amitiés gourmandes,

Par Daniel Zenner