Souvent, dans ces billets terminologiques hebdomadaires, nous remontons jusqu’au Viandier de Guillaume Tirel, dit Taillevent, en 1319… mais c’est bien impossible pour la ganache, puisqu’elle nécessite du chocolat, lequel n’est arrivé en France qu’après la découverte de l’Amérique, et, plus précisément, en 1615, lors du mariage d’Anne d’Autriche, fille du roi d’Espagne, avec le roi Louis XIII. Il faut donc faire différemment, et aller voir plus récemment.
Commençons par exemple avec le Guide culinaire, qui date de 1910 : rien, pas de ganache ! Mais le Guide culinaire est un livre de cuisine, alors que la ganache relève des chocolatiers. Voyons donc, à la même époque, le Dictionnaire universel de cuisine pratique de Joseph Favre, qui inclut des termes d’autres métiers du goût : rien non plus !
Un livre de pâtisserie tel que celui de Pierre Dumont, en 1911 ? Rien non plus.
Passons alors à Emile Darenne et Emile Duval… et nous trouvons enfin l’indication suivante :
« Crème Ganache. — Mettre trois tablettes (125 gr.) de chocolat à fondre à l’étuve ou au four, les placer dans une terrine et y ajouter 3o gr. de beurre fin, puis un huitième de litre de crème fleurette ; laisser un peu refroidir avant l’emploi (à défaut de crème, employer du lait bouilli). » Etonnante recette pour les praticiens d’aujourd’hui.
Pierre Lacam, en 1934, lui, dit environ la même chose : « Faites fondre à l’étuve sur tourtière 250 gr. de chocolat, le mettre en terrine et le travailler avec 50 gr. de beurre fin, ajouter 1/4 de litre de lait tiède ayant bouilli. Mettre en terrine pour employer au fur et à mesure des besoins. » Et ce n’est toujours pas la même chose qu’aujourd’hui.
Mais, au fait, d’où vient la ganache ?
Il apparaît que, en décembre 1862, la maison Siraudin, à Paris, commercialisa des bonbons qu’elle baptise « ganaches de marrons parfumés » ou simplement « ganaches » : il s’agissait de marrons parfumés au marasquin, à l’orange, au rhum et au kirsch. Créés en référence à Victorien Sardou et à sa comédie de l’année « Les Ganaches », ils eurent beaucoup de succès. Mais le mot « ganache » est ancien. Il désigne tout d’abord la latérale et postérieure de la mâchoire inférieure du cheval, ou encore un fauteuil capitonné, sans bois apparent, très en vogue au dix-neuvième siècle. Au figuré, c’est une personne incapable et bornée.
Si certains inventent des histoires de l’introduction du mot en chocolaterie, sans donner de référence, il faut observer qu’ils ne donnent pas de références fiables. Et les techniques de préparation sont variables. Certains ne jurent que par l’ajout de crème bouillie au centre d’une masse de chocolat fondu, avec un mouvement de la spatule concentrique, à partir de la crème vers le chocolat, mais on voit sur les recettes de Dumont et Lacam que ces précautions sont sans doute inutiles… et il vaut bien mieux s’interroger sur les phénomènes mis en œuvre : le chocolat fondu fait une matrice grasse liquide, où sont dispersés cristaux de sucre et particules végétales. On y ajoute lait ou crème, avec de la matière grasse dispersée dans une phase aqueuse. Et l’on peut donc, selon les cas, obtenir une dispersion de la matière grasse total dans l’eau, ou bien l’inverse, sachant que, ensuite, la matière grasse ira figer, au refroidissement.
Bref, on peut avoir différentes ganaches… sans compter qu’on peut la parfumer, ou la foisonner.
Hervé This