Gordon Ramsay et Loïc Lefebvre : Il y a un Gordon devant les caméras et hors-caméra..

Loic Lefebvre, “Cauchemar en cuisine” avec Gordon Ramsay

Loïc Lefebvre et Caroline Cordier ont ouvert en mars 2009 le restaurant gastronomique “L’atelier du peintre”, rue Schongauer à Colmar (68) et se sont vus récompensés en février 2011 d’une Première étoile au guide Michelin.

Si leur arrivée s’est faite discrètement en Alsace, leur réputation gourmande s’était très vite faite connaître et reconnaître outre-Manche, notamment grâce à leur participation à une émission télévisée animée par Gordon Ramsay en “Prime Time” (ndrl : en première partie de soirée) sur la chaîne anglaise Channel Four..

Dans le restaurant l’Abstract à Inverness (Ecosse), les jeunes et sympathiques restaurateurs avaient été remarqués dans une célèbre émission télévisée anglaise “Ramsay’s Kitchen Nightmares “, présentée par le très médiatique Gordon Ramsay et diffusée en France par Cuisine.TV et W9 sous le nom de ” Cauchemar en cuisine “.

Gordon Ramsay est un chef reconnu par ses pairs. Formé auprès du fleuron de la gastronomie britannique et française (Marco Pierre White, Guy Savoy, Joël Robuchon), distingué de 3 étoiles au Michelin anglais, il est également un homme d’affaires avisé, se constituant un empire culinaire avec des restaurants à Londres, Dubaï, Tokyo, New York, Wicklow (Irlande) ou encore Versailles.

Mais le chef Ramsay est surtout célèbre auprès du grand public pour son rôle d’homme de télévision dans des émissions culinaires comme “Cauchemar en cuisine”, censée aider des restaurateurs en difficulté, mais aussi “The F Word” ou “MasterChef”. Charismatique, il est également connu pour son franc-parler (allant souvent jusqu’à la vulgarité), ses blagues, mais aussi ses coups de gueules et son tempérament colérique. Les lecteurs d’un magazine anglais l’ont même élu “homme le plus terrifiant de la télévision”.


Caroline Cordier et Loïc Lefebvre décrochent leur 1ere étoile Michelin à L’atelier du peintre en 2011
À l’heure où les émissions de télé-réalités culinaires font grimper toutes les audiences, et dans un contexte de diffusion sur une chaîne française de “Cauchemar en cuisine” le 18 avril 2011, avec dans le rôle de Gordon Ramsay, le chef Philippe Etchebest, Caroline Cordier et Loic Lefebvre racontent les conditions d’un tournage.

En apportant leur témoignage, ils lèvent le voile sur la face cachée du programme britannique qui fait succès et espèrent sincèrement que le chef doublement étoilé de “l’Hostellerie de Plaisance” à Saint-Emilion et Meilleur Ouvrier de France ne sera pas le “pire cauchemar” des chefs cuisiniers.
Ils seraient enchantés de découvrir qu’en France, l’émission irait jusqu’au bout du concept et mettrait en place une équipe d’experts, qui accompagnerait réellement les restaurateurs pendant une année après le tournage.

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Rencontre et entretien avec Caroline Cordier (CC) et Loïc Lefebvre (LL)

SK : Pourquoi avoir accepté de participer à cette émission? Connaissiez-vous sa réputation ?

CC : Nous venions à peine d’ouvrir le restaurant l’Abstract à Inverness et nous ne connaissions pas l’émission. Au titre d’une opération de communication, l’investisseur pour le compte duquel nous avions traversé la Manche, nous a convaincus de jouer le jeu.

LL : C’est une émission avec une forte audience et c’est la production qui nous a contactés. Et puis, c’était quand même l’occasion de rencontrer Gordon Ramsay, qui compte parmi les trois cuisiniers ayant été gratifiés de trois étoiles en une fois par l’édition britannique du Guide Michelin


Gordon Ramsay au milieu de la brigade de Loic Lefebvre à lʼAbstract à Inverness
SK : Comment s’est passé le tournage ? La rencontre entre les deux chefs ?

CC : Gordon sait mettre les chefs à l’aise. Il plaisante souvent et jure beaucoup. Il met un “fucking” (ndrl : terme vulgaire à connotation sexuelle) devant chaque mot. C’est un peu sa marque de fabrique.

LL : Pendant la semaine de tournage, tout s’est bien passé. Exceptés des moments de fortes tensions, Gordon Ramsay est plutôt sympathique. Et pour avoir lui-même fait ses classes en France, il y est resté particulièrement attaché : “Allez les bleus !” criait-il toujours à tue-tête…Ça, c’était le côté décontracté et bon enfant…Côté tournage et scénario, on ne jouait plus dans la même cour.

SK : Que vous reprochait-il ?

LL : De proposer une cuisine soi-disant trop compliquée pour le potentiel de clientèle locale. Et c’est la raison pour laquelle, il avait dû lui-même fermer son restaurant 1* Michelin à Glasgow Parc.

CC : Dans notre restaurant gastronomique Abstract à Inverness, contrairement aux autres établissements filmés et scénarisés, il n’avait pas matière à scandales : la production devenait impatiente et menaçait de stopper le tournage.


Gordon Ramsay, Caroline Cordier et le chef barman
SK: Que s’est-il passé ?

CC : Ils ont fini par axer l’émission sur le thème de “l’arrogance du chef français dans la course aux étoiles” et la “sophistication” de ses assiettes. Pour lui, Loïc en faisait beaucoup trop.

LL : J’ai été formé chez Christian Willer, Jacques Chibois, Jacques et Laurent Pourcel.. Gordon m’avait dit : ” tu commences avec un tel niveau en cuisine, c’est hallucinant !”. Je lui ai demandé ce qu’il attendait de ma brigade, issue également de maisons étoilées : que l’on cuisine du “Fish n’ Chips” ? (ndrl: plat anglais de type fast-food, composé de poisson pané et de frites). Nous marchions tous dans la même direction et commencions à être récompensés par notre travail bien avant la diffusion de l’émission en 2005, nous avons par exemple été distingués du second prix du “Meilleur menu de Grande Bretagne” par le magazine Caterer. Les choses se sont accélérées après la diffusion de l’émission.

En 2006, nous avons été nommés “Meilleur restaurant d’Ecosse” pour la qualité des prestations de l’Abstract à Inverness (Ecosse) et en 2007, j’ai remporté le titre d’Espoir Michelin. Autant dire que le discours de Gordon Ramsay ne m’avait pas convaincu. Il n’a d’ailleurs pas trouvé d’écho non plus chez les professionnels, medias, critiques et guides.


SK : Vous étiez dans une impasse. Comment a-t-il fait pour donner au public l’illusion d’avoir convaincu Loïc?

LL : Il a organisé un étrange “concours” autour d’un plat de Saint-Jacques, puis il a fait venir à mon insu un ancien inspecteur des guides pour qu’il valide son argumentaire. Je lui ai dit :”qu’est-ce que tu me proposes ? Un concours ? Tu veux que je te dise que tu es le meilleur ? Eh bien, tu es le meilleur, je ne vois pas l’intérêt “. À cela il m’a répondu : “on va passer à la vitesse supérieure, je veux te prouver que j’ai raison, ce n’est pas parce que je suis 10 fois meilleur que toi, mais parce que, j’ai 10 fois plus d’expériences que toi “. Nos deux assiettes ont été présentées à l’ex-inspecteur du guide général AA, très réputé qui, tout en “dégustant à l’aveugle “, est venu me servir, mot pour mot, les propos de Gordon.

CC : Tout était scénarisé. Gordon n’a pas réussi à convaincre Loïc et a fait venir un inspecteur pour se donner une crédibilité. Avec du recul, c’était pathétique ! Surtout qu’on a appris une semaine plus tard que le guide avait été briefé 4h avant par la production. Tout était truqué ! Loïc s’est fait piéger devant les caméras et toute sa brigade. Pas très chic !

SK : Si tout était truqué, comment avez-vous réagi?

LL/CC : Nous n’avions pas le choix, il fallait continuer et faire le show. Nous avons contenu notre colère et redoublé de vigilance vis-à-vis de la production. Mais il est sincèrement difficile d’imaginer le montage post-production.


SK : Pourquoi avoir poursuivi l’émission à ce moment-là ? Pourquoi ne pas y avoir mis un terme ?

CC : On avait signé un contrat. Donc on a dû prendre sur nous, faire bonne figure jusqu’au bout, avec de l’humour, ce qui a malheureusement été interprété comme une preuve supplémentaire d’arrogance.

LL : Ils ont donc sorti les grands moyens pour me déstabiliser et me faire douter, jusqu’à l’ultime visite de l’ex-président du guide Michelin de Grande Bretagne: Dereck Brown.

SK : Comment cette rencontre s’est-elle déroulée?

LL : Comme prévue par la production. Je lui ai fait une assiette avec quelques morceaux d’agneau de lait, une purée de pommes de terre aux olives, des petits artichauts, un jus provençal avec de l’ail et du basilic …. Verdict : “trop compliqué Monsieur !”

CC : Ceci dit, on ne pouvait pas rester insensible au déplacement de deux anciens guides gastronomiques dans l’émission. … Merci Gordon, c’était une première !


Caroline et Loic dans la salle du restaurant l’Abstract
SK : Qu’avez-vous pensé de l’émission lors de sa première diffusion en 2005 ?

CC : Nous étions consternés ! Fâchés ! On a réalisé les ruses du montage : les réponses qui ne correspondaient pas aux questions, les anachronismes et les manipulations d’images, pour donner le beau rôle à Gordon.

LL : Des méthodes d’audience plus que discutables, préjudiciables et souvent destructrices pour les établissements.
La production n’hésite pas à sacrifier les participants, à les traîner dans la boue, c’est honteux. Cette émission manque cruellement d’éthique.

SK : Le succès de l’émission a été une surprise. Comment l’expliquez-vous?

CC : En effet, c’était un grand succès d’audience. Était-ce grâce à la présence d’un chef français et/ou des deux anciens inspecteurs de guides ? Nul ne le sait, mais les images ont parlé d’elles-mêmes. Loïc a sorti de belles assiettes et il avait vraiment l’air sincère dans sa démarche culinaire. Et puis, Gordon a souvent répété que Loic était compétent, qu’il utilisait des produits de grande qualité, tout ce qu’il y avait de mieux. Au début du film, il se disait impatient de rencontrer un chef aussi talentueux, entouré d’une “french team” (ndrl : équipe française).

LL : Par la suite, les récompenses décernées par les guides ont fait la démonstration que le jugement porté sur ma cuisine n’était pas conforme à la réalité.


Gordon Ramsay et Loic Lefebvre en cuisine – – DR
SK : Quel bilan en avez-vous tiré ?

CC : Un bilan satisfaisant. Après la diffusion de l’émission, tout s’est accéléré, le restaurant était complet toute l’année. On a gagné 6 mois de temps sur les relations presse grâce à cette médiatisation. Nous avions acquis une belle notoriété. Les critiques et les guides ont voulu voir de plus près ce fameux “french restaurant “, avec cette équipe qui s’investit autant. Ils ont visiblement porté peu de crédit aux critiques de Gordon. Au niveau de la clientèle, la zone de chalandise s’est étendue à Edimbourg, Glasgow puis Londres. L’émission, diffusée sur les longs courriers de la British Airways, nous a même permis de recevoir des New-Yorkais et des Australiens.

LL : Effectivement, à titre professionnel ce n’a été que du bonus. Un an après, on nous reconnaissait encore dans la rue, mais attention, nous avons parfaitement conscience qu’on a eu beaucoup de chance. Sur les 12 restaurants de la saison, seuls 2 ont survécu à la diffusion. Les autres ont fait faillite. Ils demandaient de l’aide et l’émission fut au contraire le coup de grâce. La presse avait relaté les conséquences violentes de ces émissions. Je me souviens d’un cuisinier à qui l’on jetait des pâtes dans la rue…et un autre recevait des appels pour savoir s’il y avait du rat au menu du jour.


Loic : Je suis content de cette rencontre, malgré les circonstances
SK : Que retenir de votre rencontre avec Gordon Ramsay ? Que vous a-t-il apporté ?

CC : 1h30 d’audience en prime time, à 20h. C’est tout ce que l’on souhaitait, merci Gordon !

LL : Il y a un Gordon devant les caméras et hors caméras. La dualité reste intéressante… et même si nous ne serons jamais les meilleurs amis du monde, je suis content de cette rencontre, malgré les circonstances. Il a souhaité nous faire découvrir sa cuisine et comme nous l’avions reçu chez nous, il a tenu à nous inviter chez lui au Claridges à Londres, 1* Michelin… Merci pour l’invitation et sans rancune Gordon !


SK : Et finalement vous êtes rentrés en Alsace ?

CC: Après l’ouverture de trois restaurants en Écosse, nous avions aussi un autre projet de vie, plus personnel, celui de fonder une famille et de s’établir durablement près des nôtres. Aujourd’hui nous avons la fierté d’avoir décroché notre première étoile, chez nous en Alsace, sans aucun investisseur et sans Gordon…

SK : Et pour finir, que pensez-vous de la nouvelle émission “Cauchemar en cuisine” diffusée actuellement sur M6.

LL : Nous souhaitons bonne chance aux candidats et au chef Philippe Etchebest, qui tient un rôle difficile. Nous souhaitons que le format de l’émission française tienne toutes ses promesses, soit éthique et morale et poursuive une belle philosophie, d’aides et de conseils au développement et à la prospérité des établissements visités.

Propos recueillis par Sandrine Kauffer

Visionner des extraits de l’émission

L’Atelier du peintre
1 rue Schongauer
68000 Colmar
Tél. : 03 89 29 51 57
Email : info@atelier-peintre.fr
www.atelier-peintre.fr