Lîle flottante exotique ©Nina Metayer

Les « îles flottantes » ne sont pas des œufs à la neige

Dans cette rubrique, nous avons déjà exploré la question des « œufs à la neige », mais en quoi les « îles flottantes » en diffèrent-elles ? Après tout, on voit les mêmes images, sur des sites internet grand public ou professionnel… qui ne donnent aucune référence, aucun justification. Or, dans ce genre de cas, quand on voit deux noms pour le même objet, c’est généralement qu’il y a des confusions !

Menons donc une enquête sérieuse, en commençant par un livre de pâtisserie professionnelle réputé : celui de Pierre Lacam, publié en 1934. Là, on trouve des oeufs à la neige, qui se font à partir de blancs battus et sucrés bien fermes, qu’on met sur du lait vanillé que l’on fait bouillir ; puis, avec le lait, on fait une crème anglaise et l’on nappe les œufs. Lacam signale également que l’on peut pocher dans un moule que l’on met lui-même au bain marie pendant 1/4 d’heure ou au four pendant dix minutes, même sauce dessus. Et il termine par des « Œufs neige à la reine » : « Rangez des œufs à la neige en couronne autour d’un moule à cylindre jusqu’en haut, et remplissez le vide avec une crème anglaise, collée à la vanille; démouler sur plat d’argent et arroser avec une crème vanille bien lisse ».

Mais pas d’île flottante, dans ce livre !

Un peu avant, le Guide culinaire, lui, évoque des « oeufs à la neige » que l’on fait en moulant à la cuiller, en forme d’oeuf, de la « meringue ordinaire », que l’on fait tomber dans dans un sautoir contenant du lait bouillant sucré et vanillé. Avec le lait, passé à la mousseline et additionné de 10 jaunes par litre, on prépare une crème anglaise ; on dresse les œufs sur un compotier et on les couvre avec la crème anglaise. On notera que les anciens auteurs parlaient de « meringue » pour désigner des blancs d’oeufs battus en neige sucrés. D’ailleurs, le Guide culnaire discute aussi des oeufs à la neige moulés : on les prépare de la même façon, mais on ajoute dans la crème cinq ou six feuilles de gélatine trempées à l’eau froide.

Ce même Guide culinaire parle plus loin d’« île flottante » : il s’agit de partir d’un biscuit de Savoie rassis, de le détailler en tranches minces, d’imbiber ces tranches avec kirsch et marasquin, de les masquer de confiture d’abricot, de parsemer celle-ci de raisins de Corinthe et d’amandes hachées ; on remet alors les tranches l’une sur l’autre, de manière à reformer le biscuit, on masque d’une couche de crème Chantilly sucrée et vanillée, et l’on parsème la surface de la crème avec des pistaches effilées et des grains de Corinthe; on dresse sur un compotier et entourer de crème anglaise vanillée, ou de sirop de framboises.

Rien à voir avec un œuf à la neige, donc ! Aurions-nous d’autres îles flottantes chez des auteurs précédents ? Rien chez Emile Darenne et Emile Duval, qui discutent toutefois d’oeufs à la neige, à cela près qu’ils ajoutent un peu de fécule dans leur crème anglaise (qui devient donc plutôt une crème pâtissière).

Rien, non plus, chez Joseph Favre, qui remplace le lait par de la crème, qu’il préconise de faire réduire avant de sucrer, de vaniller, et de pocher les œufs. On lie ensuite la crème avec des œufs, et il signale que l’on peut varier le goût, remplacer la vanille par des zestes de citron, d’anis, tandis que l’on peut aussi colorer.

Et notre île flottante ? Toujours rien chez Urbain Dubois non plus, en 1898, mais une ancienneté : le pochage se fait dans l’eau. Et avant ? Pierre de la Varenne, dans son Cuisinier françois, indique que les œufs à la neige ne sont pas ce qui nous a été transmis :

« Faites bouillir du lait avec un peu de farine ; mettez-y ensuite six blancs d’oeufs ; remuez bien, sucrez et lorsque vous serez prêt de servir, remettez sur le feu, et glacez ; ou bien jetez par dessus le reste de vos blancs bien frits ; passez y légèrement un couvert de four, et servez sucré avec quelques eaux de senteur. Vous pouvez, au lieu de blancs, y mettre le jaune de vos œufs à proportion, et les blancs frits par dessus. La crème à la Mazarine se fait de même, hormis que vous n’y mettez point de blancs d’oeufs. »

Rien à voir, donc ! D’ailleurs, il donne une autre recette, avec le même nom :

« Cassez des œufs, séparez les blancs des jaunes, mettez les jaunes dans un plat sur du beurre, et les assaisonnez de sel, et posez-les sur de la cendre chaude ; battez et fouettez bien les blancs, et peu avant que de servir, jetez-les sur les jaunes avec une goutte d’eau rose, et la pelle du feu par dessus, puis sucrés. Autre façon. Vous pouvez mettre les jaunes au milieu de la neige, qui est de vos blancs fouettés, et les faites cuire devant le feu un plat derrière. »

Mais pas d’île flottante non plus !

Et c’est ainsi que la seule « île flottante » que l’on trouve est donc celle du Guide culinaire, qui n’est pas l’oeuf à la neige. On aurait donc intérêt à ne pas tout confondre !

Hervé This