J’ai passé mon enfance à Horbourg, un petit village alsacien séparé de Colmar par l’Ill.
Mes copains étaient alors presque tous gamins d’agriculteurs. Je passais donc la plupart de mon temps libre avec eux ( salut les Ittel, Mérius, Hanser, Jauss…).
Je me rappelle… Le temps des asperges dans les années 1965. Tout le bourg était en ébullition : le village sentait l’asperge ! Sur le chemin pour aller à l’école primaire, je vois encore des centaines de kilos de ces frais et blancs turions baigner dans l’immense auge en grès rose qui servait habituellement d’abreuvoir pour les chevaux. Je sens encore le parfum fort de ces tiges printanières, car ce village pouvait s’enorgueillir de posséder sa propre variété : la “Géante de Horbourg”, réputée pour la finesse de son goût et son calibre appréciable. En saison, la bourgade était assiégée par des centaines de gourmands qui venaient déguster l’Asperge de Horbourg dans nombre de restaurants.
On prête au Pasteur Louis Gustave Heyler l’arrivée des asperges en Alsace en 1869, mais il n’en est rien. Cet homme d’église, revenu de mission en Algérie, a bien posé ses valises à Hoerdt. Il a tout au plus diffusé son développement en cette bourgade par l’instauration de nouvelles variétés ramenées d’Afrique, via l’Espagne (…), et de méthodes de culture plus performantes.
Les alsaciens consommaient depuis fort longtemps ce légume (5).
Dans son ouvrage le “Kreuterbuch” paru en 1539, Jérôme Boch mentionne deux variétés d’asperges sauvages en Alsace et une autre : “… une espèce d’asperge d’eau si abondante dans la vallée du Rhin, qu’elles étaient vendues jusqu’en Hollande…(3)”
A peu près à la même époque, Charles Gérard dans “L’Ancienne Alsace à Table” donne la liste des légumes en usage au XVIème siècle, et au niveau du goût: ” Au dessus de tout dominaient l’asperge et la raiponce…” (5) (Campanulacée, genre Phyteuma)
Au XVII siècle, trois variétés d’asperges sont connues en Alsace: la ” Grüene Spargel “(asperge de Pologne ou de Hollande), la ” Weisse Darhstmedter Spargel ” (asperge blanche) et la ” Ulmer Spargel “, (asperge rouge) (5)
Dans le premier livre de cuisine d’Alsace connu, L’abbé Buchinger dans le ” Kochbuch “daté de 1671 donne une recette d “asperges en salade “, avec de l’huile d’olive s’il vous plaît, matière noble, rare et chère à l’époque, preuve que les asperges étaient cuisinées comme un légume d’exception.
En 1830, le célèbre botaniste Alsacien Kirchleger, natif de la bonne ville de Munster, mentionne sa culture ” aux environs de Strasbourg…” , puis rajoute qu’en 1852 : ” les asperges sont un objet de grande culture chez les cultivateurs Strasbourgeois…”(6).
Marguerite Spoerlin, cuisinière alsacienne émérite, en donne plusieurs recettes gourmandes en 1842(7). Elle ne parle pas de l’asperge en terme de légume exotique, et au vu de la richesse des formules des recettes, l’asperge d’Alsace devait déjà avoir gagné ses lettres de noblesse.
Sur une Fresque Egyptienne datant de 3000 ans avant J.-C. , on peut voir une brassée d’asperges offerte aux Dieux. Ce végétal succulent était déjà un mets d’exception, car on n’offre pas n’importe quoi aux Dieux! ”
L’asperge est donc consommée en Egypte ancienne, en Judée, en Mésopotamie, en Thrace et en Grèce. Mais d’où provenaient ces asperges? Les cultivait t’on déjà à cette époque? Les Egyptiens avaient t’ils déjà créé des variétés par sélection naturelle? Ou ne cherchaient-ils en saison que les pousses sauvages? En tous cas, l’asperge adore le climat sec et chaud ainsi qu’un sol limoneux et sableux comme il en existait autrefois dans la Vallée du Nil , avant la construction du barrage d’Assouan et l’utilisation des intrants chimiques. Son origine – communément admise – se situe à l’Est du bassin méditerranéen. De là, elle aurait colonisé le pourtour de la méditerranée s’avançant quelquefois loin dans les terres arides et sèches de l’Afrique, voire même jusqu’en Asie occidentale.
A Table avec César
Cette asperge cultivée avait et possède toujours pour nom latin et scientifique: asparagus officinalis. Elle semble être l’ancêtre directe de toutes celles que nous apprécions.
Mais par asparagus, les Romains entendaient toutes les jeunes pousses de plantes ou d’arbustes coupées avant l’apparition des feuilles. Ainsi lorsque Juvénal nous parle dans ses satires de “mortani asparagi”, asperges de montagne cueillies par la fermière, il n’est pas aisé de déterminer s’il s’agit de pousses d’arbustes ou d’asperges sauvages…” .
Ce qui est certain est le fait que l’asperge était déjà un légume fort prisé, rare et cher dans la Rome Antique(23).
Dans son traité de cuisine, Apicius, un général cuisinier Romain (25 av. J.- C. ; 37 apr. J.-C.), nous donne une recette de ” Patina d’asperges ” avec forces épices et herbes, vinaigre, vin rouge, livèche, oignons et garum…(9). Voilà un ragoût d’asperges fort en goût! En saison, les asperges étaient un mets cher et fort recherché, privilège de la classe aisée qui l’achetait au prix fort au Forum.
Il me plaît à penser!
Dans les années soixante dix, une maison Romaine, avec ses canalisations et son système de chauffage a été mise au jour dans la cour de la ferme Mérius, rue des écoles. Dans la grange de cette même ferme, subsiste les vestiges d’un épais mur d’enceinte Romain, toujours visible aujourd’hui. Curieux revers de l’histoire: la ferme Mérius cultive aujourd’hui 2 hectares d’asperges sur la terre de ses ancêtres!
Vers 58 apr J.-C., dans un endroit non loin de l’Alsace et non encore exactement déterminé, Jules César défait au cours d’une bataille assez bien connue, Arioviste et ses troupes.
Les Romains ont encouragé la culture de la vigne en Alsace, bien que nos ancêtres, les Celtes buvaient déjà du vin, issu probablement de vignes sauvages. Outre ce fruit béni des Dieux, ces “civilisateurs” ont emporté en notre contrée moultes produits exotiques ainsi que de vastes connaissances dans le domaine agricole. Le Rhin et sa vallée était un puissant vecteur de commerce. Le gingembre et la cannelle étaient fort prisés à l’époque Romaine. Les échanges commerciaux et de savoirs étaient florissants. Au IVème siècle, le vin d’Alsace était déjà fort apprécié en cette époque de relative prospérité. Les Romains cultivaient l’asperge depuis plus de cinq siècles. Pourquoi n’auraient -ils pas emporté quelques griffes en Gaule?
Et pourquoi pas jusqu’à Horbourg?
Pourquoi le muscat d’Alsace s’accorde-t-il aussi bien avec un repas autour des asperges?
Dans bon nombre d’ouvrages agricoles, culinaires et historiques, je ne trouve plus de traces de ce merveilleux légume, ni en Alsace, ni ailleurs en France, et cela pendant tout le Moyen-âge. J’ai consulté des ouvrages de l’époque, comme le ” Capitulaire de Villis ” ouvrage initié par de Charlemagne (800). Quatre vingt huit plantes y sont mentionnées, mais pas un mot sur l’asperge, comme dans d’autres ouvrages sur les jardins médiévaux et monastiques (10). J’ai consulté des menus de cette époque(5), étudié l’économat des couvents tels ceux de l’Oelenberg ou de Marbach(11),cherché toutes traces de l’asperge dans mes nombreux grimoires sur le Moyen-âge (12), lu des livres de cuisine de l’époque tel “Le Viandier” (1360) (13), (ou le ” Menasgier de Paris ” (1393) (20), point de traces de notre pousse comestible.
La cuisine du Moyen-âge est la descendante directe de celle pratiquée par les Romains. Le traité d’Apicius et quelques rares autres ouvrages (14) sont restés la référence culinaire pendant près de mille ans. En ces temps troublés, je pense que les paysans devaient plutôt planter des fruits et légumes à croissance rapide et à bons rendements plutôt qu’un rhizome à la culture longue, complexe et fournissant sur un espace donné bien moins de protéines qu’un navet ou une betterave… La cuisine Romaine était complexe, diversifiée et riche, témoin gourmand de la culture de tout un peuple conquérant. Celle du Moyen-âge était plutôt une cuisine de subsistance.
Entre guerres, pillages et famines, seuls les moines étaient bien nourris!
Si sa culture a cessé en France pendant tout le Moyen-âge. Il semble qu’elle ai perduré au Moyen Orient, du côté de Damas et en Egypte, ainsi qu’en Espagne, chouchoutée par des horticulteurs arabes.
Par Daniel Zenner