Les artichauts à la provençale ? Nous avons vu que l’on trouve de tout en ligne, et notamment des informations « insuffisantes ».
Par exemple, si l’on est trop rapide, on risque de s’arrêter à la recette du Cuisinier impérial, de Viard, qui indique : « Vous préparez trois artichauts comme ceux à la barigoule ; vous coupez douze oignons en quatre, et vous les laissez épais d’une ligne ; le morceau doit former le quart de cercle ; vous mettrez une demi-livre d’huile dans une casserole ; posez-la sur le feu avec les oignons dedans quand ils seront bien blonds, vous pilerez trois anchois que vous mêlerez avec du beurre, et les oignons; vous mettrez le tout dans les artichauts; vous les ferez cuire dans une casserole, comme il est dit aux artichauts à la barigoule lorsque vous les servirez, vous verserez une sauce à l’espagnole dedans ou bien vous ferez un roux léger que vous mouillez avec le fond où ont cuit les artichauts; vous pouvez les faire cuire seulement suc une barde de lard, feu dessus et dessous. »
Mais ce n’est pas la véritable recette des artichauts à la provençale, qui est donnée dès 1742 par François Marin, dans la Suite des dons de Comus :
« Prenez de petits artichaux, ôtez toutes les feuilles, et tournez le cul proprement. Faites-les blanchir pour pouvoir ôter le foin, et les faites cuire dans du bouillon avec une barde de lard, un petit morceau de beurre manié dans un peu de farine, un petit morceau de graisse de bœuf. Etant cuits, vous les mettez dans une casserole avec deux verres d’huile. Pour la sauce, vous prenez deux verres de bon consommé, dans lequel vous mettez sel, poivre, un pincée de persil blanchi et haché, et jus de citron. Remuez bien le tout ensemble, avec un peu d’huile. Dressez vos artichauts, et jettez la sauce dessus. »
Cette recette étant la plus ancienne identifiée à ce jour, c’est celle-là que l’on retiendra, par conséquent.
Et les artichauts dits « à la barigoule », alors ? Sur Wikipédia, on trouve indiqué que les artichauts à la barigoule seraient (vous observez le conditionnel) un mets issu de la tradition culinaire paysanne de Provence, dont la recette aurait beaucoup changé dans le temps, la préparation traditionnelle ayant utilisé une farce à base de champignons barigoules (également nommés lactaires délicieux et pinins). Tout cela est à la fois très péremptoire, et injustifié, illégitime !
Ce qui est grave, c’est que le dictionnaire de l’Académie française (le CNRTL) dit simplement que c’est une manière d’apprêter les artichauts à l’huile d’olive ! Heureusement le Trésor de la langue française informatisé est plus explicite : il indique que c’est une « manière d’apprêter les artichauts en remplaçant le foin par une farce à base de champignons et d’oignons, et en les faisant cuire dans l’huile ».
Et il donne l’étymologie, reconnaissant au passage que le terme de « barigoule » se trouve présent, avec l’orthographe « barigoult », dans la Suite des Dons de Comus (tome 2, p. 430 ; en réalité page 418 de l’édition dont je dispose), publié par François Marin en 1742. Le mot aurait été emprunté au provençal E berigoulo, barigoulo, nom de divers champignons comestibles, en particulier de l’agaric du panicaut ou oreille de chardon (1716, bouligoulo à Aix-en-Provence d’apr. Garidel dans ROLL. Flore t. 11, p. 145; 1785 brigoulo, bérigoulo dans les Cévennes, ibid.; barigoulo à Marseille, ibid.). Le provençal serait probablement issu du latin maurùcùla (dérivé de maurus « maure » d’où « noir »), et il aurait donc désigné la « morille », la forme morucla étant attestée en latin médiéval.
Que serait donc un « artichaut à la barigoule » ? Etymologiquement, des artichauts aux morilles ! François Marin, en 1742, donne la recette suivante (je donne l’orthographe moderne) :
« Prenez six ou huit artichauts qui n’aient que les coeurs, si faire se peut, parce qu’ils sont plus tendres. Epluchez un peu le dessous, coupez la pointe, faites-les blanchir jusqu’à ce que vous puissiez tirer le foin sans les déchirer. Arrangez dans le fond d’une casserole quelques bardes de lard, mettez vos artichauts dessus, hachez des champignons, persil, ciboules, échalotes, et quelques rocamboles. Mettez-les dans une casserole avec sel, poivre, un peu de basilic en poudre, deux verres d’huile, un jaune d’oeuf. Délayez bien le tout ensemble, et mettez de cet appareil dans chaque artichaut. Mouillez d’un peu de bouillon ou de quelque fond de braise, de manière qu’il n’en entre point dans les artichauts. Faites-les cuire sur des cendres chaudes, et les servez avec du blond de veau, dans lequel vous mettrez un pain de beurre manié et le jus d’un citron.
Et voilà donc la différence bien établie : des champignons (si possible des morilles) pour les artichauts à la barigoule, et une cuisson avec matière grasse et fond pour les artichauts à la provençale. Il y a lieu de ne pas confondre !
Par Hervé This