En explorant des livres de pâtisserie, je trouve, dans un texte de 1856, une recette de « gorenflots ». Des gorenflots ? Je me souvenais d’un personnage d’Alexandre Dumas père : Gorenflot est un moine lâche, peureux, et gourmand, que l’on retrouve dans plusieurs de ses textes : Les Quarante-Cinq, La Dame de Monsoreau ou La reine Margot.
Mais en cuisine ? Continuant ma consultation avec internet, je vois d’abord un village de la Somme, puis une définition sans référence :
« (Cuisine) Dessert constitué de pâte de savarin aromatisée, premier gâteau dans lequel on introduisit une fève, dès le XVIe siècle. Les gorenflots étaient confectionnés dans des moules octogonaux, destinés à sept convives, la huitième part étant réservée à Dieu. »
Oui, mais je trouve aussi l’image suivante :
Et là, pas d’octone, mais un hexagone. Et je trouve aussi un fabriquant de matériel culinaire qui vent des moules à étages. Alors, finalement ? Allons plutôt voir dans les livres de pâtisserie anciens.
L’auteur de la Pâtisserie moderne en donnait la recette suivante :
« Prenez de la pâte à savarin, manipulez dedans, jusqu’à mélange égal, un huitième de quantité d’amandes douces, émondées et hachées menu ; beurrez des petits moules dits gorenflots, placez au fond une moitié d’amandes, garnissez-les de pâte au tiers; frappez fortement vos moules sur le tour pour entasser la pâte; relevez-les ensuite sur des plaques sans trop les rapprocher les uns des autres, et mettez à l ‘étuve; lorsque votre pâte sera montée à la hauteur du moule, mettez au four ordinaire; aussitôt de couleur blonde, retirez et démoulez de suite; préparez alors à chaud un sirop à trente degrés, composé d’eau de rose, de marasquin et de fleurs d’oranger; versez ce sirop dans une terrine; trempez vos gorenflots dedans, et mettez-les égoutter sur une grille. »
Autrement dit, il y a des moules spéciaux, et une pâte qui gonfle, avec, finalement, un trempage dans un sirop.
D’autres auteurs ont-ils évoqué cette pâtisserie, dont le nom de figure pas dans les dictionnaires généraux ? En 1873, Jules Gouffé donne une recette de « goronflot », plutôt que de gorenflot… mais on sait que Gouffé n’avait pas des textes très justes, puisqu’il parlait de « pirodi » au lieu de « pirogi », pr exemple. Et sa recette est en réalité la même :
« Ce gâteau se fait avec de la pâte à savarin dans des moules de fer blanc de forme hexagone. Prenez un moule qui ait au moins 20 centimètres de larges ; beurrez-le avec du beurre clarifié. Mettez dans le moule un peu plus de la moitié de la pâte à savarin ; faites-là revenir et faites cuire aussitôt que le gâteau sera monté à son point, c’est-à-dire au double de son volume. Lorsqu’il sera cuit, démoulez. Laissez refroidir 20 minutes. Trempez le gâteau dans du sirop fait avec du lait d’amandes et du sucre. »
Là, on confirme qu’il s’agit d’une sorte de savarin trempé dans du sirop, mais, surtout, on a une précision sur les moules : ils sont à six faces. C’est ce que propose aussi Arthur Charles Bourdon en 1874, dans sa Pâtisserie pour tous :
« GORENFLOT (dit) Garnir un moule à six côtes, en pâte à Savarin, dans laquelle vous avez mis un peu de fruits hachés et d’écorces d’oranges, le faire revenir une fois cuit le siroter comme le savarin ; ajouter au parfum du sirop un peu d’orange et de sirop d’orgeat. »
Puis Lacam, quatre ans après, confirme que « le gorenflot se fait avec du savarin, l’on en remplit des moules hexagones, on les fait lever, puis on les cuit à four un peu chaud, siropés au lait d’amandes, absinthe, kirsch et noyau ».
Joseph Favre est plus explicite : « GORENFLOS, s. m. (Gâteau de), — Nom d’un village de la Somme, où ce gâteau jouit d’une grande renommée. D’après Lacam, le nom viendrait de Gorenflot, célèbre moine gourmand du temps de Henri III et personnage fantastique d’Alexandre Dumas, père. » Et il signale des gorenflos à l’anisette, à la menthe, toujours avec cette orthographe que je n’ai trouvée que chez lui. Et nous nous arrêterons en 1909, quand Emile Darenne et Emile Duval, reprennent l’anisette, mais ils proposent d’ajouter à la pâte des dés de cédrat, d’angélique, des amandes hachées.
Au fait, la pâte à savarin ? Voici celle de Bourdon :
« Pesez un demi-kilog. de farine dite gruau, tamisée avec soin; prenez-en le quart, que vous mettez dans une sebile; joignez-y vingt grammes de beurre, que vous délayez avec un peu de lait tiède, tout en remuant avec la main ; donnez beaucoup de corps à ce levain, ne le tenez pas trop ferme; ramassez-le bien dans le fond de votre sébile, mettez-le revenir dans un endroit chaleur d’étuve ; lorsqu’il aura atteint quatre fois sa grosseur primitive, il est convenablement revenu. Pendant ce temps, vous avez placé sur le tour les trois quarts de la farine qui vous reste; vous la disposez en fontaine. Vous y mettez quinze grammes de sel fin, soixante grammes de sucre en poudre, six œufs cassés avec les précautions d’usage, que vous mettez à mesure, tout en fouettant votre pâte de manière à la rendre légère. Vous y ajoutez, goutte à goutte, tout en la manipulant, un demi-verre de bon lait non écrémé, trois cent soixante-quinze grammes de beurre fin bien manié; vous mélangez le tout de manière à ne laisser aucune trace de beurre; enfin, que votre pâte soit bien lisse; placez alors votre levain au centre ; mêlez légèrement, et fouettez le tout jusqu’à parfait mélange.
Cette pâte demande toujours quelques heures de repos; elle peut au besoin s’employer de suite avec succès. »
C’est un peu compliqué, et il vaut mieux regarder une recette moderne : prendre 100 grammes de farine et 10 grammes de levure, pour faire un levain ; disposer le reste en fontaine, ajouter 15 grammes de sel, 3o grammes de sucre en poudre, 7 ou 8 œufs entiers et travailler la pâte pour lui donner le plus de corps possible ; ajouter ensuite le levain et 250 grammes de beurre d abord bien manié et que l’on mêle peu à peu avec de la pâte obtenue. Débarrasser dans une terrine. Laisser faire un levain ou deux en rompant la pâte à la main ou à la spatule sans la retirer de la terrine.
Et vous avez tout en main pour faire revivre les gorenflots !
Par Hervé This