L’hiver est bien long dans ma montagne. Le poêle à bois ronronne. Depuis quelques semaines, j’écris un nouveau livre sur le foie gras de Strasbourg. Il paraîtra courant de cette année, dès que les 30 chefs choisis m’auront donné leur recette! Voici, en avant première, deux chapitres ainsi qu’une recette de saison, car les premières primevères acaules émergent doucement de terre comme pour encourager un printemps qui ne saurait tarder.
La Genèse du foie gras : Qui a inventé le gavage des oies?
Les Egyptiens n’ont fait que reproduire ce phénomène en faisant ingurgiter aux volatiles, à l’aide d’un entonnoir, des boulettes de pâte. La scène, comme une bande dessinée, est peinte sur les murs d’un tombeau de la Vème dynastie. On peut admirer sa reproduction au musée du Louvre.
Au 1er siècle avant notre ère, le poète Horace est le premier à mentionner le foie gras en commentant un festin: “le foie d’une oie femelle blanche engraissée aux figues onctueuses…” Dans la Grèce antique le processus du gavage était connu mais aucun document ne précise ni avec quels aliments l’oie était gavée, ni comment elle était apprêtée.
La longue route du foie gras
Il me plait de rêver. Pourquoi notre région n’aurait t’elle pas connue la technique du gavage? Nos ancêtres étaient déjà connus comme fort bons ripailleurs dans une Alsace prospère. Les Romains nous ont apportés la vigne, probablement aussi leur passion pour l’élevage des oies, et pourquoi pas les techniques d’engraissement du noble volatile? Il y a t’il eu un foie gras d’Alsace Gallo-Romain?
Quoi qu’il en soit, le foie gras est bien un héritage gourmand de notre culture latine.
Le foie gras au Moyen-âge
La version la plus communément admise veut que ce soit les juifs d’Europe centrale qui aient continué le gavage des oies. De nombreux documents l’attestent.
En effet, selon la tradition juive, “les aliments carnés ne doivent pas entrer en contact avec des produits laitiers”. Pour cuire ou conserver la viande, point de beurre ou de saindoux. Les huiles végétales étaient fort rares et chères. La graisse d’oie devint un aliment indispensable.
En l’an 800, Charlemagne encourage l’élevage des oies dans son célèbre Capitulaire de Villis. “Qu’il y ait toujours suffisamment d’oies grasses” précise t’il. Ce fût chose faite, car les Alsaciens devinrent d’excellents éleveurs de ce volatile devenu indispensable dans toute basse-cour. Nul ne parlait encore de canard gras.
Fin du XIV siècle, un ouvrage, le “Schachtafel der Gesundheit” est traduit et illustré à Strasbourg. On peut y lire une phrase assez éloquente: “Les foies des oies gavées avec une pâte faite au lait sont du goût le plus exquis”. Tiens donc! Y aurait-il déjà du foie gras à Strasbourg à cette époque? Pourquoi pas, car les communautés juives étaient nombreuses en notre région.
Retour en Italie, en 1570. Le cuisinier du Pape, signale que les juifs lui fournissent des foies de deux à trois livres. De nombreux écrits au XVI siècle signalent le foie gras dans presque toute la France, en Italie et en Allemagne.
Dans le “Kochbuch” édité à Frankfort en 1581, on peut lire: “J’ai rôti le foie d’une oie que les juifs de Bohême engraissent, qui pesait un peu plus de trois livres…”
A la même époque, le cuisinier de la cour de Bohême clame qu’il a acheté le foie d’une oie engraissée par les juifs et qui pesait plus de trois livres.
Mais revenons en Alsace…
Ce n’est qu’en 1708 qu’un autre magistrat de Strasbourg limite la prolifération des oies intra-muros.
La belle s’invite sur toutes les tables. Elle figure en bonne place sur nombre de festins et participe activement à la réussite des fêtes de la Saint-Martin, grasse et copieusement farcie, probablement avec son foie.
Mais patience! Les lettres de noblesse du foie gras vont bientôt être gravées dans les pierres de grès d’Alsace, non loin de la cathédrale de Strasbourg.
A suivre …
Par Daniel Zenner