Le civet : commençons pas regarder le dictionnaire, qui nous dit que c’est un ragoût de gibier, principalement de lièvre, de lapin ou de chevreuil, dont les morceaux sont sautés au beurre, mouillés de vin rouge, assaisonnés de cives, d’oignons, et liés en fin de cuisson avec le sang de l’animal. Il ajoute que, généralement préparé avec le gibier de poil, le civet est également effectué avec des gibiers de plume et des volailles ainsi qu’avec des poissons.
Mais le dictionnaire général méconnaît souvent la cuisine, et il oublie par exemple de citer le homard.
Regardons mieux, le Guide culinaire, par exemple. On y trouve un civet de chevreuil, pour lequel les morceaux sont mis à mariner au moins 6 heures à l’avance avec le vin qui doit servir pour le mouillement du civet et les aromates de la marinade ordinaire ; au moment de mettre le civet en marche, ces morceaux sont égouttés, épongés et revenus à feu vif. Mais il est surtout indiqué que la préparation est la même que celle du civet de lièvre, « sans omettre la liaison au sang sans laquelle ce civet ne serait qu’un ragoût de chevreuil » : la caractéristique du civet serait-elle la liaison au sang ? En tout cas, comme il est difficile voire impossible de conserver du sang de chevreuil, le Guide culinaire préconise du sang de lièvre ou du sang de lapin.
Mais le Guide culinaire est trop souvent fautif pour qu’on puisse s’y fier. Que dit Joseph Fabre, au début du 20e siècle ? Il commence par signaler que le civet est un plat à l’oignon à cause de la grande quantité de civette qui entrait dans sa composition, que c’est un ragoût où la civette dominait. Il ajoute qu’il n’est nullement besoin d’un lièvre pour faire un civet. Les meilleurs gibiers pour mettre en civet sont : le lièvre, le chevreuil, le renne, le daim, le chamois et le marcassin.
Sa recette consiste à dépouiller l’animal, réserver le sang, le foie et le coeur dans une terrine avec un peu de sel et de vinaigre pour éviter la coagulation. On coupe par morceaux les chairs, on les fait roussir à feu. vif dans une casserole avec du lard maigre en dés, on ajoute une cuillerée ou deux de farine, on laisse encore roussir un instant, et l’on mouille avec trois quarts d’eau et un quart de vieux vin rouge naturel; on ajoute persil, ail et sel, on cuit aux trois quarts et on ajoute des petits oignons glacés. Au moment de servir, on met dans le sang une égale quantité de crème et on verse le tout dans la casserole avec un morceau de beurre fin. On sert avec des croûtons de pain frits, on entoure du petit salé coupé, des champignons, des petits oignons glacés à part.
Pour terminer, allons voir Nicolas de Bonnefons, bien antérieur : pour lui, le civet est si commun qu’il ne donne aucune explication ! Mais Pierre François La Varenne, en 1651 (qui écrit « civé ») indique de couper un lièvre, d’empoter avec du bouillon, de cuire, d’assaisonner avec un bouquet garni, d’ajouter du vin, de la farine, un oignon, du vinaigre, et de servir avec une sauce verte. La sauce verte ? On broie de l’oseille pour en tirer le jus, on cuit un oignon éminncé avec sel, poivre, vinaigre, câpres et écorce d’orange. Là encore, il y a de l’oignon.
De l’oignon ? Pourtant, l’étymologie est claire : le mot « civet » date de 1636, et il est dérivé de « cive », laquelle est un des condiments -obligatoire, donc- de ce plat. Mais la cive ? Il y a tant de mots analogues qu’on s’y perd : cive, civette, ciboulette, ciboule… Alexandre Dumas, dont le Grand Livre de cuisine est une fantasmagorie, confond cive et ciboule, ce que confirme Joseph Favre dans son Dictionnaire universel de cuisine pratique : « Cive : nom que l’on donnait autrefois à la ciboule (voir ce mot); on disait aussi civette ». Et il définit ainsi civette : « nom donné à plusieurs petites espèces ou variétés du genre ail ; aussi appelée ciboulette.
Revenons à de la juste botanique : la ciboulette, ou civette, ou appétit est l’espèce Allium schoenoprasum, tandis que la ciboule, cive, oignon d’hiver, est l’espèce Allium fistulosum.
Et, l’une ou l’autre, au pire l’oignon, doivent donc être présents dans les civets, n’est-ce pas ?
Par Hervé This