Un choc thermique ? Désolé de vous dire que c’est souvent soit un mot mis sur une évidence, soit un baratin qui tombe du ciel sans véritable raison.
Par Hervé This
Certes, il y a des « chocs thermiques » : et le premier est celui qui est la cause de bris du verre quand on met ce dernier, chaud, dans un liquide froid, ou inversement. Pour comprendre le mécanisme du phénomène, il faut imaginer que le verre soit comme une sorte de grillage à mailles carrées, et dont la taille des mailles dépende de la température. Pourquoi une telle hypothèse ? Parce que l’on sait bien que les rails de chemin de fer doivent être séparées d’une petite distance, en hiver, afin que leur allongement, en été, leur laisse la possibilité de s’allonger ; d’où le tac-tac-tac des trains qui roulent dessus.
Il y a généralement une dilatation des matériaux à l’échauffement et une contraction au refroidissement (avec une exception qui est l’eau à 4 degrés, d’où le fait que la congélation puisse briser les récipients où l’eau est placée, d’où le fait que les revêtements des routes soient endommagés en hiver).
Mais revenons à un verre très chaud, dont le matériau serait dilaté. Si on en refroidit rapidement une partie, alors la zone intermédiaire est tiraillée entre un état (dans la partie chaude) où le réseau est agrandi, et un état (dans la partie froide) où le réseau est contracté : la zone intermédiaire ne peut supporter ces deux états à la fois, et elle se brise. Et c’est ainsi, par exemple, que les chimistes savent couper du verre proprement en entourant un tube d’une ficelle que l’on fait brûler, avant que le tube ne soit immédiatement placé dans l’eau froide : le tube se casse exactement à l’endroit où la combustion de la ficelle a dilaté le verre.
Par extension, et seulement par extension, les médecins ont nommé « choc thermique » un effet sur le corps d’un brusque changement de température, telle une hydrocution. Là encore, il y a un mécanisme connu, à savoir la contraction ou la dilatation des vaisseaux sanguins, pour bien acheminer le sang vers le cœur ou le cerveau.
Le choc thermique en cuisine
Mais en cuisine ? Sur internet, c’est du grand n’importe quoi. Par exemple, l’idée selon laquelle un aliment chaud dans un réfrigérateur ferait des catastrophes. Ou dans un congélateur. Ou l’idée selon laquelle l’ouverture du four ferait retomber immédiatement un soufflé (ce qui n’est pas vrai). Ou l’idée selon laquelle le bombé des meringues n’apparaîtrait que si la pâte a été préalablement placée au réfrigérateur. Ou encore l’idée selon laquelle le bicarbonate ferait un meilleur ou un moins bon fonds de veau.
Je ne cesse de voir des pages internet où l’expression « choc thermique » est utilisée à tort et à travers, sans qu’il y ait véritablement de tels chocs. Par exemple, je vois l’usage de bicarbonate pour la réalisation des viandes : rien à voir avec le « choc thermique » ! Ou encore cette idée selon laquelle les soufflés retomberaient quand on ouvra la porte du four : nous avons montré, au cours d’un séminaire de gastronomie moléculaire, que ce n’était pas vrai ; les soufflés ne retombent que si on les ouvre, ou si la vapeur formée en leur sein, qui les fait souffler, se re-condense…. Ce qui prend un assez long moment.
Ah, j’oubliais ce « choc thermique » qui aurait lieu quand on met des légumes verts dans un bac d’eau glacée pour « fixer la chlorophylle». Nous avons cent fois montré, parfois publiquement, que le bac d’eau glacée ne fait pas des légumes plus verts : ce qui compte, c’est seulement d’arrêter la cuisson. D’ailleurs, comme je l’avais expliqué dans un billet précédent, parler de « la chlorophylle » est un non-sens, parce que la couleur verte des légumes verts n’est pas due à « la chlorophylle », mais à des pigments qui sont DES chlorophylles… et qui sont d’ailleurs mêlés à d’autres pigments jaunes, oranges, rouges, de la famille des caroténoïdes… et toutes ces molécules se moquent bien des changements brusques de température. Elles ne craignent que les températures élevées !
Hervé This