Daniel Zenner et Jean-Christophe Karleskind. ©JulienBinz

Le bœuf de Kobé

Tout gastronome qui se respecte a entendu parler du bœuf de Kobé. Certains en ont déjà dégusté mais, pour s’adonner à ce privilège, il faut avoir bourse bien garnie, ou comme amis, quelques chefs réputés. Décidément, je suis dans ma période japonaise car je vous ai entretenu la semaine dernière de mes aventures nipponnes dans la capitale. Si je vous parle aujourd’hui à nouveau de ce pays et des ses traditions gastronomiques, c’est pour soutenir un ami, Jean Christophe Karlenskind, chef de cuisine à domicile installé à Kraft, qui propose prochainement aux amateurs de sports culinaires, aux aventuriers de la fourchette, aux gastronomes curieux, la dégustation de cette viande de bœuf mythique, la plus chère au monde, mais aussi la plus délicieuse. Détails en fin de chronique.

Kobé est une importante ville au Japon, sise dans la préfecture de Hygo, sur l’île de Honshu, non loin d’OSAKA. Outre son important port, ses réputés bains japonais, son atmosphère exotique, elle est surtout connue pour son bœuf, que l’on peut déguster dans nombre de restaurants.

L’animal est issu d’une souche génétique pure, car celui-ci, depuis quelques millénaires, a toujours été jalousement élevé dans cette province entourée de montagnes, souvent en guerre dans un empire féodal, où il était dur de voyager. Son exportation à l’état de bête vivante, est purement et simplement interdite hors des frontières de l’île.

Il existe plusieurs races à l’origine de celle dite de Kobé. Elles sont regroupées sous le terme générique de Wagyu, ce qui signifie : Wa (Japon) et Gyu (bœuf).

Plusieurs lignées sont à l’origine de l’appellation : le Tajiri ou Tajima de la préfecture de Hygo ; les Fujiyoshi ou Shimame de la préfecture d’Okayama et les Tottori ou kedaka de la préfecture de Tottori. Seul le Wagyu élevé à Kobé à droit à l’appellation “Bœuf de Kobé”, car dans cette ville il est chouchouté comme nulle part ailleurs.

À l’origine, ces bœufs étaient élevés pour leur puissance musculaire, utile aux travaux des champs. Aujourd’hui, ils sont soignés et gardés comme le plus grand des trésors. D’une robe noire (pour le Kobé), quelquefois rouge pour le Wagyu, ils atteignent adultes, le poids vif de 600 kilos, ce qui n’est pas énorme au vu de nos grasses charolaises ou puissantes limousines. Leur encolure est forte et la masse musculaire bien présente.

L’animal roi est engraissé pendant 500 jours environ. Il ne verra jamais l’herbe verte des prairies, ni l’ombre des bocages, encore moins la mer. Il vit cloitré dans son étable personnelle avec toute une armée de petits Japonais à son service. Ces derniers le nourrissent exclusivement de céréales sous forme de muesli, d’eau pure et de bière. Il est massé avec du saké afin de faire pénétrer le bon gras à l’intérieur des fibres musculaires. Ses déjections sont retirées à l’instant et notre bon bœuf pépère écoute de la musique classique. Il est (paraît-il, mais je n’ai pas pu vérifier mes sources car sa production est entourée de mystères et de secrets jalousement gardés) abattu sur place, afin de ne pas lui faire subir le stress du transport et celui de l’usine. Bref, le bœuf de Kobé joui d’un traitement de faveur, ce qui explique en partie son prix.

Grace à ce régime de roi et à sa prédisposition génétique, l’animal engraisse tranquillement, produisant un gras de qualité riche en oméga 3 et 6, les fameuses graisses insaturées qui, par les massages au saké, pénètrent la viande. Celle-ci acquiert une saveur de beurre et de noisette. Côté exercice, et au vu de son régime, il se place plutôt du côté des supporters que de ceux qui courent dans les stades : il dépense peu de calories et son régime, un peu comme celui des sumos, est minutieusement calculé. Mais les Japonais sont malins : ils abattent la bête avant que celle-ci ne meure subitement d’un accident cardio-vasculaire !

Observez une entrecôte de bœuf de Kobé: (végétariens et diététiciens s’abstenir) les chairs contiennent autant de gras blanc que de muscle rouge. La viande est marbrée, persillée, un peu huileuse sur le dessus. La texture est fondante. Jutosité et tendreté bien sûr mais aussi ces divines saveurs de noisette, beurre et même foie gras, suivant les façons de la préparer.

Dans les restaurants de Kobé, plusieurs façons de déguster la précieuse chair sont proposées, comme en version sashimi, posée sur un lit d’oignons doux. La viande est coupée très fine et servie presque congelée ce qui fait qu’en bouche le gras se diffuse doucement en passant par diverses étapes en se réchauffant dans la bouche… Sauce de soja et wasabi bien sûr.

Il existe aussi celle dite “en trois façons”. Elle concerne l’entrecôte, cuite à la plancha et accompagnée de légumes grillés laissés croquants. En deuxième plat, voici de petits rectangles cuits avec des aubergines et du tofu dans la graisse, qui s’échappe de la viande. Puis le gras restant est soigneusement découpé en petits cubes, sautés devant vous avec de la sauce de soja. Il est quelquefois proposé avec du riz et des légumes saumurés.

Une autre manière de le déguster est de plonger de petites tranches dans un bouillon dans lequel des os à moelle du noble animal donnent la base du goût. Légumes frais, sauce soja et riz vous déculpabiliserons par rapport à votre cholestérol !
Les Japonais, culturellement et sûrement physiquement, ne sont pas aptes à dévorer seul une entrecôte de 300 grammes ou plus, comme je le pratique moi-même quelquefois. Cette viande est donc appréciée en petites quantités, même par les gens aisés car celle-ci atteint des prix extravagants, pouvant allégrement dépasser les 1000 € au kilo pour les plus beaux morceaux.

A ce tarif, vous allez vite comprendre que ce commerce est juteux. Il existe des marchés parallèles, qui proposent aujourd’hui du bœuf Wagyu. Des élevages prospèrent aux USA, en Australie, en Espagne, en Belgique, aux Pays-Bas et même en France. Comme les bovins vivant de race Wagyu n’ont pas le droit de quitter le Japon, il existe un lucratif commerce d’embryon et de sperme congelé, dont les premiers lots ont bien un jour quitté le pays du soleil levant !
Un embryon congelé s’achète 1000 € (en 2005) en Australie. Il est transplanté sur une mère porteuse (Charolaise ou autre) La nature fera le reste. Bref, le bœuf Wagyu est aujourd’hui élevé un peu partout dans le monde, mais ne jouit jamais des mêmes faveurs dont il bénéficie à Kobé.

En France…

En France, des élevages installés dans l’Aisne proposent cette viande. Inspirés des méthodes d’engraissement du bœuf Wagyu, des essais ont été tentés dans l’Hérault en nourrissant des taureaux avec du muesli, du marc de raisin et un litre de vin rouge par jour. Le bœuf de Coutances lui, est élevé dans les grasses prairies du Périgord vert. Il boit trois litres de bière par jour et est aussi massé, non pas par de charmantes geishas, mais par des robots armés de brosses rotatives. La viande de ces limousines est pourtant réputée succulente. Elle se trouve dans les meilleures boucheries de la capitale.

Vous pouvez acheter de la viande de bœuf Wagyu sur plusieurs sites Internet, dont celui d’un éleveur français installé dans l’Aisne et d’un autre à Foissiat dans l’Ain. Sur un site espagnol, achetez l’entrecôte de 500 à 600 g à 54€, le filet à 236€ le kg (livré par camion frigo !) Sinon, le Wagyu peut s’acheter aujourd’hui facilement auprès des bons bouchers. Cette succulente viande se trouve aussi aisément dans des filières d’approvisionnements destinés aux professionnels des métiers de bouche.
Ne le confondez par avec le bœuf “Angus”, une race bovine anglaise qui jouit d’une excellente réputation depuis le 18ème siècle.

Par Daniel Zenner