Dans les livres de cuisine anciens, les sauces avaient souvent le nom des ingrédients qu’elles contenaient : à l’oseille, aux oignons, aux truffes, aux champignons, au verjus, etc. Mais, au 18e siècle, se multiplient des noms de contrées (à l’allemande, à l’italienne, à la hollandaise, à l’espagnole, à l’anglaise), ainsi que des noms anciens, codifiés : Robert, pauvre homme, rousse, ravigote, verte, piquante, rémoulade, à l’ivoire… Enfin, il y a des sauces un peu étonnantes, telle la sauce à la Monime, au réveil matin, au singe vert. Or plusieurs de ces dernières ont une origine, qui provient de la sauce à la Noé.
C’est ainsi que le dictionnaire des aliments qui fut publié en 1750 dit bien de la sauce à la Nesle : « C’est le fond de la sauce à la Noé finie au blanc ; elle vous sert à toutes les petites sauces, comme verte, jaune, rouge, blanche, à l’Angloise, à l’Italienne blanche, aux petits œufs & à tout ce que vous jugez à propos ; il se fait un consommé qui sert à masquer à la fin des Entrées ». Ou encore, pour la sauce au singe vert : « Prenez un fond de sauce à la Noé au blanc toute claire ; mettez-en dans une casserole ce qu’il en faut, pilez du cerfeuil cru, tirez-en le suc à travers d’une serviette ; délayez deux jaunes d’œufs avec ce vert ; liez-en votre sauce et vous en servez ».
Pourquoi pas, mais la sauce à la Noé ? Cette fois, la recette propose de faire suer une noix de veau, un morceau de jambon, un poulet, le tout coupé en dés, deux gousses d’ail, trois rocamboles, trois échalotes, quatre champignons, un bouquet garni, deux tranches de citron. Puis on mouille de vin de Champagne et de bouillon. On fait réduire le tout, puis on dégraisse, on passe au tamis et l’on ajoute du persil, de l’estragon, du cerfeuil, des truffes, des cornichons tranchés ou hachés, des jaunes d’œufs durs écrasés, des échalotes et… « enfin tout ce que vous voulez ».
On le voit, la sauce à la Noé n’est pas une sauce liée, même si un cuisinier digne de ce nom sait bien que la préparation doit avoir une proportion de solides suffisantes pour ne pas laisser un vague liquide clair. En outre, comme on l’a vu pour les sauces dérivées de cella à la Noé, il vient une liaison ensuite, aux jaunes d’œuf.
Et la sauce à la Noé, la sauce à la Nesle, la sauce au singe vert disparaîtront dans les décennies ou les siècles suivants, notamment quand Marie-Antoine Carême et ses élèves ou émules auront introduit les grandes sauces et les petites causes. Pour autant, ces sauces ont des vertus qui pourraient les remettre au goût du jour : on observera qu’elles ne comportent ni beurre, ni crème, ni huile, et que, de ce point de vue, elles seraient bien adaptées à un mode de vie citadin, où la minceur se gagne à chaque pas que l’on fait et à chaque corps gras que l’on supprime.
Par Hervé This