Foie gras Maréchal des Contades de la Maison Georges Bruck

La renaissance du Foie Gras à Strasbourg par Daniel Zenner (2/2)

Les historiens semblent enfin s’être mis d’accord sur la réapparition du foie gras en France au 18 ème siècle, plus précisément en 1780 dans la bonne ville de Strasbourg. Ce fût le cuisinier du Maréchal de Contades – alors gouverneur de l’Alsace – qui mis en œuvre le foie gras d’oie dans un magnifique pâté en croûte complété par de la farce de veau et de lard finement hachés.

Jean Pierre Clause, Lorrain né à Dieuze en Moselle, fit sensation auprès de son maître lors d’un somptueux dîner. Dès le lendemain, le Maréchal de Contades, en courtisan obligé et zélé, fit expédier à Versailles, à l’intention de son bon roi Louis XVI, le fameux pâté. L’œuvre exquise connu auprès de Sa Majesté un succès fulgurant. Le Maréchal se vit offrir une terre en Picardie (qu’on lui confisqua quelques années plus tard à la révolution française…), et le roturier cuisinier une rondelette somme de 20 pistoles, de quoi ouvrir en 1784 un atelier à Strasbourg en compagnie de Marie-Anne Maring, une jeune veuve possédant boutique de pâtisserie. C’est donc de cette maison installée rue des Mésanges, que se bâtit la réputation du pâté en croûte de foie gras de Strasbourg, ou pâté de foie gras Contades.
Clause le fabriqua en ce lieu jusqu’en 1827. Il l’envoyait aux quatre coins d’Europe. Les colis étaient expédiés par diligence ou courrier à cheval.
En 1874, il existait plus de quarante maisons de foie gras à Strasbourg dont celle de Philippe Edouard Artzner créée en 1803; celle de Georges Bruck en 1852 puis Feyel en 1874 et Auguste Michel en 1885. Cette dernière fusionna avec Artzner en 1957, puis avec Feyel en 1984 pour intégrer ensuite le groupe Olida.

Les conditions de transport s’améliorèrent, l’acheminement par voie ferrée prenant de l’essor. Les systèmes de refroidissement commençaient à apparaître: ils devenaient garants d’une qualité, d’une hygiène des produits et d’une plus longue conservation.

Les premières terrines en conserve furent créées vers 1850. Elles cuisaient en pot de terre cuite puis étaient recouvertes de graisse d’oie ou de saindoux. Ainsi, elles pouvaient se conserver entre deux et trois semaines, suivant la saison.

Un des premiers gros coup médiatique de l’histoire

Le fulgurant succès du “pâté de foie gras Contades” élaboré par Clause est probablement dû au fait que le puissant Maréchal, puis Louis XIV l’aient dégusté. Sinon, l’œuvre serait peut être passée inaperçue, noyée dans un festin donné à quelques nobles invités dans la bonne ville de Strasbourg. Il aurait alors fallu attendre plus de deux siècles plus tard, les sublimes créations d’Emile Jung, de Paul Haeberlin, de Robert Husser, de Philippe Schadt, de Fernand Mischler ou d’Antoine Westermann.

Ce pâté a bien créé à Strasbourg en l’an 1780, par un Lorrain et pour un Maréchal et un roi de France qui n’étaient pas Alsaciens! Mais le foie gras, à n’en point douter, était bien alsacien. Les cuisiniers et surtout les pâtissiers devaient sûrement déjà l’employer depuis quelques décennies.

Au grand désespoir des producteurs de foie gras du Sud-ouest, l’Alsace a raflé la mise jusqu’à être nommée en cette fin du XVIII siècle: “Capitale mondiale du foie gras”. Mais soyons honnêtes. Dans le livre “Le Cuisinier Gascon” paru en 1747, une recette de “foie gras en croûte” est donnée. Dans “le Dictionnaire portatif de Cuisine” édité en 1767, la formule du “pâté de Périgueux” contient: “Douze foie gras, deux livres de truffes, des champignons et de la ciboulette”. Les romains sont allés loin vers l’ouest de la France, laissant au passage quelques beaux monuments. Des communautés juives prospéraient aussi en Béarn, en Périgord, dans les Landes et dans le Gers pendant tout le Moyen-Âge.

Au milieu du XVII, on cuisinait le foie gras à Paris
Pierre de Lune (1656), écuyer de bouche du Duc de Rohan, dans son livre: “Le Cuisinier”, nous gâte de nombreuses recettes à base de foie gras: potage d’oie grasse aux navets, foie gras à la broche, foies gras frits, rôtis de foie gras, boudins de foie gras et de chapon, tourte au foie gras… En ces termes, il nous parle de la cuisson des oies: “les oisons se doivent barder et vider et faire farce avec les foies gras et lard”. Le mot “oison” désigne sûrement l’oie gavée car le volatile, engraissé sur l’autel de Comus, est forcément jeune. En effet, l’oie est gavée dans sa prime jeunesse. Il ne viendrait à personne l’idée de gaver une vieille oie âgée de trois années…

Un peu plus tard, en 1674, un cuisinier officiant dans divers châteaux de la région parisienne, “L.S.R., donne une recette de “foie gras frits” dans son livre: “L’Art de bien traiter”. Mais de quel foie gras s’agit-il?
J’ai poursuivi mes investigations en cherchant systématiquement dans ces ouvrages le mot foie gras. Je ne l’ai identifié que lié à l’oie. D’ailleurs, il est bien improbable d’imaginer un foie gras de poulet, de porc ou de veau. Il est certain qu’à Paris, au milieu du XVII ème siècle, on pouvait se procurer du foie gras d’oie.

Et la truffe dans cette histoire?

Lors de l’élaboration de son pâté, Clause ne connaissait probablement pas la truffe, même si la Tuber uncinatum (truffe de Bourgogne) pouvait se récolter en Lorraine. En Alsace, la Tuber melanosporum (truffe noire), se récoltait sur le massif calcaire du Bollenberg, du Strangenberg et du Birkenberg, non loin de Rouffach. La récolte était insignifiante mais les plus belles arrivaient quand même sur la table de Louis XIV! Clause semblait l’ignorer ou n’eut simplement pas l’idée de l’ajouter dans son pâté.

Ce fut un autre cuisinier, chassé de Paris en ces temps troubles de la Révolution française, qui vint chercher fortune à Strasbourg. Nicolas François Doyen arriva donc en 1792. Il fit rapidement connaissance de Clause et eut l’idée de marier la truffe au foie gras pour sublimer l’œuvre gourmande. Ce dernier ouvrit comme Clause une boutique, sans cependant le concurrencer ou lui porter tort, car la réputation du pâté de foie de Strasbourg était scellée et la demande ne cessait de croître.

Aujourd’hui, à cause de l’usage intensif des intrants chimiques en agriculture conventionnelle, la truffe semble bien avoir disparue sur les quelques collines calcaires en Alsace. Elle provient aujourd’hui du Périgord, plus généralement du Sud- ouest, de l’arrière pays Niçois ou de la Drôme provençale.
Elle n’est pas ajoutée systématiquement dans les pâtés ou les terrines de foie gras d’Alsace.

Par Daniel Zenner