La récolte du safran par Hervé Barbisan

Après nous avoir accueillis sur son stand de la foire européenne pour nous présenter ses produits dérivés safranés : foies gras, confitures, sirop, bières, liqueurs, meringues, entre autres gourmandises, Hervé Barbisan de l’entreprise “Safran du Château”, située à Saint-Hippolyte, nous invite sur ses parcelles en pleine saison de la récolte de la fameuse fleur crocus sativus, productrice de safran.

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Hervé Barbisan exploite 1,5 hectares, divisés en 3 parcelles avec des plantations 2006, 2007, 2008, 2009 et 2010. A terme, il souhaite rassembler toute l’exploitation du safran dans le Val de Villé.
La fleur Crocus sativus se cueille le matin avant que la luminosité ne soit trop forte

Ce matin-là, la fraîcheur matinale pour compagne, nous nous rendons sur une parcelle exposée sur le domaine ” la ferme de la Bosse”, à Villé (67) appartenant à Jean-Claude Schmidt.

” Je le remercie pour le coup de pouce qu’il m’a apporté, en répondant favorablement et très rapidement à ma demande foncière. Il me loue des parcelles sur son domaine parce qu’il considère cette culture singulière et originale. Nous partageons le même état d’esprit” déclare le safranier.


La cueillette de la fleur de safran est manuelle, tout comme l’émondage.
Nous arrivons tôt, le temps est couvert et les fleurs sont fermées. “C’est idéal pour la cueillette. Mais il faut les ramasser très vite (NDLR : 1500 fleurs sont récoltées à l’heure) parce que dès que la luminosité est plus forte, elles s’ouvrent toutes et la récolte est plus difficile”, nous explique l’exploitant.

Le mois d’octobre est celui de la floraison du crocus sativus, après une période de dormance estivale. “C’est une floraison inversée. En hiver, la plante vit alors que la nature est figée et l’été, elle dort alors que la nature explose”. Les cormes commencent à germer et à prendre racine et la plante fleurit par la suite. Puis, tout s’accélère. ” Quand la pousse est blanche le matin cela annonce la fleur du lendemain”, nous explique Hervé Barbisan.” Plus tard dans la nuit, la pousse commence à se violacer, à grandir un peu jusqu’à l’apparition d’une pointe rouge, représentant le bout des 3 stigmates (filaments) faisant partie du pistil de la fleur. Parfois il y en a 5, mais c’est plutôt rare “.


Au matin, on découvre trois stades de floraison du Crocus sativus
Au fond de la fleur, trois étamines (les organes reproducteurs mâles) contiennent le pollen (l’élément fécondant mâle). “Normalement, la rencontre avec les organes femelles que sont les stigmates devraient engendrer une pollinisation, mais il n’en est rien, puisque le pollen est stérile. La culture de la plante est uniquement dépendante du geste de l’homme puisqu’il n’y a pas de pollinisation”. Par conséquent, la plante se reproduit de façon végétative par multiplication de cormes dans le sol.

Les visiteuses du jour (des visites sont possibles) sont vivement intéressées par ses explications. Le safranier les interroge, énigmatique : ” Qui a planté le premier bulbe ? D’où vient la première fleur ? Les ethnobotanistes les plus confirmés l’ignorent. Il y a un mystère qui plane autour des origines de la première fleur du crocus sativus, reine des épices.. et c’est tant mieux”.


Des passionnés visitent l’exploitation d’Hervé Barbisan et observent la récolte du safran.
Hervé Barbisan est vigneron de formation. Il connait parfaitement les composantes géologiques nécessaires à la culture du crocus sativus. Ainsi, l’exploitant nous livre ses préférences : les sols argilo-calcaires friables, lâches, à basse densité, bien arrosés et drainés, ainsi qu’une forte teneur en matière organique. On utilise traditionnellement des parterres surélevés pour favoriser un bon drainage.

La cueillette de la fleur de safran est manuelle, artisanale. “Nous pratiquons un geste ancestral, on se baisse pour ramasser la fleur, sans outil ni machine. Et c’est pareil pour l’émondage, terme technique qui caractérise l’effeuillage de la fleur, afin d’en extraire les stigmates”.

Pour cette seconde partie de la journée de récolte, après avoir enveloppé les fleurs fraichement cueillies dans une couverture, nous nous rendons dans la salle d’une commune voisine à Neuf-Eglise.

Au même moment, Carole Scandella et une équipe de saisonniers reproduisent les mêmes gestes sur les parcelles de Muntzenheim.

” C’est un moment très convivial où l’on est tous assis autour d’une table, recouverte des fleurs pour les émonder. On retrouve les ambiances des veillées d’antan, près de la cheminée, quand on écossait les haricots ou qu’on épluchait les pommes de terre”.

A peine cueillies, les fleurs sont conduites dans salle d’une commune voisine pour être émondées.
L’émondage est très minutieux. Il faut sélectionner les stigmates et les sectionner à la base du jaune pour les séparer de la tige translucide.

” L’adjonction d’un organe translucide neutre augmente la quantité mais affaiblit la qualité. C’est ce que pratiquent les Iraniens. C’est purement de la fraude ! “, s’indigne Hervé Barbisan tout en travaillant.


Hervé Barbisan sectionne cet organe translucide qui augmente la quantité mais affaiblit la qualité du safran
Le safran fleurit dans un étroit laps de temps d’une à quatre semaines. Chaque matin, vers 7h, des saisonniers se rendent sur les parcelles et procèdent à la cueillette à la main, avec panier en osier, de la floraison de la nuit. Quand il entend parler de la mécanisation de la culture du safran, le safranier considère que c’est une aberration : ” les machines ne respectent pas la fleur, les turbines les éclatent contre les parois, réduisant la qualité du safran”.

Cependant il reconnaît que recruter de la main d’œuvre saisonnière agricole est difficile, en raison notamment des horaires irréguliers, soumis au rythme de la floraison.

Une fois la production émondée, les stigmates sont mis à sécher sur des étagères dans une pièce obscure et tempérée. Au bout de 48h, ils ont perdu 90% d’humidité. ” Avec un déshydrateur à épices, cela prendrait 30mn, mais je n’aime pas l’aspect visuel du résultat”. Les extraits secs sont ensuite conditionnés en flacon.

” Si en France, on importe environ 20 tonnes de safran iranien chaque année, via l’Espagne, c’est en partie parce que notre pays n’en produit qu’une centaine de kg par an, dont la moitié part à l’étranger”.
Une infime partie de ce safran iranien reste en france pour la consommation et le reste est revendu dans la monde. Le safran est soumis à un business équivalent à celui de l’or puisque leur prix s’équivalent. Comme tous les produits de luxe, le safran attise les convoitises.

Si la majorité de la production est concentrée dans le sud de la France, Hervé Barbisan peut se targuer de produire et fournir les 75% de la demande en safran dans le nord de la France.


L’émondage est un moment convivial. On retrouve les ambiances des veillées d’antan près de la cheminée.
L’entreprise Safran du Château en quelques chiffres :

5000 bulbes, calibre 8, achetés en Haute-Vienne, ont produit 3000 fleurs en 2006, pour obtenir 12 g de safran sec. ” Et pour être très précis, une fleur fraîchement coupée pèse en moyenne 0,5 g, le pistil 0,06 g, et on retire de ce poids 90% pour obtenir le safran sec ( 0,006g) “.

Mais la culture du safran est très difficile et aléatoire. Impossible de prévoir la date du début de floraison. Les rendements varient de 2 à 10 kg l’hectare, selon le micro-climat de la parcelle, la structure du sol ou les techniques de culture.

Rappel : Hervé Barbisan souhaiterait dans un proche avenir créer une association avec des producteurs de notre région pour la promotion et la défense de la culture du safran en Alsace, protégée par une AOP ou une AOC.