La génoise ? Elle doit contenir des amandes !

La génoise ? Elle doit contenir des amandes !

Nous avons déjà eu plusieurs fois l’occasion de découvrir que des recettes que nous imaginions bien connues étaient détournées : la béarnaise, qui se faisait avec de l’huile ; la crème anglaise, la cuisson au bleu, etc. Aujourd’hui, je propose que nous examinions ce qu’est vraiment une « génoise ».

Par Hervé This

En commençant par observer que le nom de « génoise » fut le nom initial de la sauce aujourd’hui nommé « genevoise ». Mais restons en pâtisserie : aujourd’hui, c’est de l’oeuf battu avec du sucre, puis on ajoute de la farine et du beurre fondu, avec éventuellement de la vanille ou une liqueur. Et nous avons montré expérimentalement, au cours d’un séminaire de gastronomie moléculaire, en présence d’enseignant en pâtisserie, que le chauffage de l’appareil pendant le battage des œufs avec le sucre, n’avait pas d’influence sur le résultat

En 1909, Emile Darenne et Emile Duval donnent déjà une variation de la recette, en préconisant moitié farine et moitié maïzena.

Quant à Joseph Favre, il nous livre des indications nouvelles :
« Pris au sens général de pâtisserie génoise, de pâte génoise, cette appellation est légitime ; mais la pâte cuite constituant un biscuit, prend le genre masculin et l’on doit dire un biscuit génois ; garnir un biscuit génois ou un gâteau en pâte génoise. L’abréviation de : garnir une génoise étant une faute, doit être évitée. » Et il distingue des génoises fines, demi fines, pour croque-en-bouche, à la reine….

Génoise

Mais revenons à la question de savoir ce qu’est vraiment une génoise. Louis Bourdon, en 1874, stipule que la génoise doit contenir de l’eau de fleur d’oranger. Jules Gouffé, quelques années avant lui, distingue des « pâtes à génoise sur le feu », qui ne comportent pas de beurre fondu, mais seulement de la farine et des parfums (vanille, café, orange, citron, etc.), des « pâtes à génoise ordinaires, qui se font très différemment, puisque l’on commence par battre le beurre avec le sucre, puis un tiers des œufs entiers et de la farine, et c’est seulement ensuite que l’on met le jaune du tiers restant des œufs, et leurs blancs battus en neige. Enfin il indique la recette de pâte à génoise « à l’ancienne », qui commence avec des amandes pilées, des œufs, du sucre, de la farine, encore des œufs, puis des jaunes d’oeufs, et l’on ajoute des blancs battus en neige et du beurre fondu.

Continuons à remontrer le temps : pour Alexandre Dumas, les génoises sont faites de pâte d’amande et de sucre, que l’on traite comme une pâte à foncer pour faire des tartelettes, tandis que nos génoises modernes (mais avec des amandes pilées) font des « génoises glacées à l’Italienne ». C’est une recette que l’on trouve avant lui, en 1856, dans le texte du pâtissier Louis Bailleux ou chez André Viard en 1806.

Mais la fin de l’histoire se trouve en 1722 chez François Massialot :
« Génoises. Hachez du citron verd et du citron confit menu, et le pilez ensuite dans le mortier avec deux macarons, six biscuits d’amandes amères, un morceau de moelle de bœuf, de la marmelade de fleurs d’orange, gros comme deux oeufs de crème pâtissière ; ajoutez-y quatre jaunes d’oeufs, et sucrez cela de bon goût, le tout étant bien pilé et mêlé ensemble, et faites deux abaisses de pâte fine bien minces, mouillez-en le dessus d’une légèrement avec un peau d eau, et mettez de vôtre composition dessus par petits morceaux, les éloignant de distance raisonnable les uns des autres ; vous les couvrirez ensuite de l’autre abaisse et avec la pointe de vos doigts vous enfermerez chaque petit morceau entre les deux faces, et avec un fer propre à cela, vous les couperez un à un et les rangerez proprement sur une feuille de papier, et les ferez frire ou cuire au four sur une feuille de cuivre ; ensuite les glacer et servir pour Entremets. »

C’est bien différent de nos génoises modernes, n’est-ce pas ?

Il est parfois raconté toute une histoire (mais on verra qu’elle ne tient pas), selon laquelle la République de Gênes aurait envoyé, entre 1747 et 1749, le marquis Domenico Pallavicini à la cour de Madrid. Celui-ci aurait pris avec lui le personnel de sa maison, notamment un confiseur, Gio Batta (Jean-Baptiste) Cabona, qui aurait légèrement modifié la recette du gâteau de Savoie et introduit un « pan di Spagna » (pain d’Espagne), en l’honneur du roi Charles III. Mais la présence d’une « génoise » en 1722, dans le texte de Massialot, montre que cette histoire ne tient pas. Une fois de plus, nous avons raison de ne pas accorder de confiance aux textes qui ne sont pas sourcés !

Et, finalement, on aurait raison de ne pas oublier la poudre d’amandes dans les génoises ; d’ailleurs, c’est si bon…

Hervé This