Une gibelotte ou une gibelote ? Là, les dictionnaires modernes sont assez clairs : en français de France, il faut deux t.
Mais quelle préparation ce terme désigne-t-il ? Des dictionnaires modernes un peu nuls disent simplement « fricassée de lapin au vin blanc ou au vin rouge »… mais le Larousse gastronomique, qui n’est pas exempt de fautes, parle aussi d’ « agneau cuit en gibelotte », indication que nous avons intérêt à chercher mieux. D’autant que le même ouvrage (on n’oublie pas qu’il a été composé à plusieurs mains pas nécessairement bien harmonisées indique : « Ragoût de lapin, préparé avec des lardons, des petits oignons et un bouquet garni, et mouillé de bouillon et de vin. En cours de cuisson, on ajoute des champignons et, à la fin, le foie pilé ».
Allons voir le Guide culinaire, dont je ne cesse toutefois de découvrir les limites : il parle de « lapereau en gibelotte », indiquant que l’apprêt de la gibelotte est le même que celui du civet de lièvre, sauf que le mouillement se fait avec la moitié vin rouge et moitié fonds blanc ou consommé ». La gibelotte « à la ménagère » différerait par le fait que la garniture serait augmentée de quartiers de pommes de terre.
Mieux, le Dictionnaire universel de cuisine de Joseph Favre nous permet de comprendre pourquoi il vaut mieux dire « en gibelotte » que « gibelotte » : il indique que la gibelotte est une « préparation en forme de ragoût, plus spécialement appliquée au lapin. On peut cependant dire : gibelotte d’oie, gibelotte de dinde, qui, dans le sens primitif du mot, comprend les abatis ». Et il donne la recette pour la gibelotte de lapin :
« Après avoir dépouillé et vidé le lapin, le couper en morceaux à peu près d’égale grosseur. Laver et couper en dés, environ 150 grammes de lard maigre et les faire fondre dans un plat à sauter avec 100 grammes de beurre; sortir le lard sur l’assiette et mettre le lapin dans la graisse; ayant acquis une belle couleur, le saupoudrer d’une bonne cuillerée de farine; laisser colorer en remuant. D’autre part, faire sauter à la poêle une dizaine de très petits oignons. Mouiller le lapin avec moitié vin et moitié eau, l’assaisonner avec poivre, sel, une gousse d’ail, fragments de thym, un clou de girofle et ajouter le lard, les petits oignons et, cinq minutes avant de servir, un quart de champignons avec leur jus cuits selon la règle ; faire cuire vivement le ragoût pour réduire la sauce. Dresser et servir très chaud ».
C’est donc mieux, mais Favre est assez récent, alors que l’on sent dans « gibelotte » un vieux mot français. Continuons donc avec des dictionnaire étymologiques… et nous trouvons que, dès 1617, on parlait de « gibelote » pour une préparation des poissons ! Et, en 1708, la gibelotte de l’ École des officiers de bouche désignait une fricassée de poulet. Le mot proviendrait de « gibelet », « plat préparé avec de petits oiseaux », au 13e siècle, lui même diminutif du mot « gibier ».
Finalement, faut-il nous résoudre à ne parler de gibelotte que pour le lapin ? Non, mille fois non, puisque la gibelotte de poisson existe encore en Provence. Faut-il penser que c’est seulement un « ragoût » ? Cette dernière préparation est composée « de viande, de poisson ou de légumes coupés en morceaux, cuits lentement dans une sauce » : c’est plus général que l’apprêt dont il est question ici, est qui inclut du lard, des oignons, des champignons et du vin.
Ne laissons pas de mauvais dictionnaire affaiblir le Grand Art Culinaire Français (et, quand nous avons une question à propos d’un terme, consultons le Glossaire des métiers du goût
Hervé This