Doit-on écrire « béchamel », « Béchamel », « béchamelle » ou « Béchamelle » ? Et qu’est-ce, au juste, que la sauce qui porte ce nom ? On trouve mille origines ou explications sans référence, ou avec des références modernes… qui ne donnent pas les références historiques, de sorte qu’il vaut mieux faire le travail d’aller rechercher dans les textes. Je vous livre ma moisson, en partant du plus ancien texte où j’ai trouvé mention de cette sauce.
La plus ancienne mention ? C’est en 1758 : François Marin, dans La suite des dons de Comus, donne une recette de « sauce à la Béchamel » (avec cette orthographe) :
« Mettez dans une casserole, trois ou quatre pains de beurre, avec un peu de persil, ciboule, échalotes hachées, du sel du poivre concassé, un peu de muscade, de la farine pour lier la sauce. Mouillez de bonne crème. Tournez sur le feu, pour lui faire prendre goût & de la consistance & vous en servez au besoin. ».
C’est clair, c’est net… et c’est la plus ancienne mention que je trouve, puisque, contrairement à ce qui a été parfois dit, il n’y a rien qui laisse penser à cette sauce chez Pierre François La Varenne, dans son livre de 1651.
Plus tard, on retrouve le mot « béchamel », comme dans le Cuisinier impérial de Viard, en 1806, et sans farine :
« Prenez du velouté plein huit cuillères à pot ; mettez-le dans une casserole ; vous emploierez trois cuillères à pot de consommé ; vous ferez réduire à grand feu et toujours en tournant votre sauce, ces onze cuillerées à cinq seulement ; vous aurez trois pintes de crème que vous mettrez sur un grand fourneau et que vous ferez réduire à moitié ; il faut bien tourner votre crème avec une cuillère de bois, et gratter le fond de la casserole pour qu’elle ne s’attache pas et ne prenne pas le goût de gratin ; votre velouté et votre crème réduits vous mêlerez le tout ensemble, et le ferez bouillir à grand feu ; vous tournerez toujours voire sauce afin qu’elle ne s’attache pas ; après avoir tourné votre béchamel trois quarts-d’heure ou une heure, si voire sauce se trouve assez liée, vous la passerez à l’étamine. »
Oui, cette fois, c’est un mélange d’un consommé et de crème réduits, mais c’est donc une autre sauce, qui aurait mérité un autre nom. D’ailleurs, dans le même livre, on trouve une « Petite Béchamel », qui se fait avec beurre, veau, jambon, carottes, oignons, clous de girofle, laurier, un basilic, et beurre ; on fait revenir, puis on ajoute de la farine, avant d’ajouter du lait, de cuire et de passer à l’étamine.
Mais l’orthographe n’est pas fixée, dans ce livre, puisqu’on trouve aussi une indication « à la Bechamelle », et l’expression « dans une béchamelle ».
Pour Marie Antoine Carême (L’art de la cuisine française), en 1828, il est question de « sauce béchamel », tandis que Favre…
Il donne d’abord la recette :
« Mettre dans une casserole forte de fond et bien étamée, ou mieux dans une casserole d’argent, un morceau de beurre frais, y ajouter de la farine tamisée, remuer et la faire cuire à blanc, c’est-à-dire jusqu’à ce qu’elle mousse, sans la laisser roussir. Ajouter de la crème ou du lait préalablement cuit et bouillant, remuer pour empêcher la formation des grumeaux jusqu’à l’ébullition en ayant soin qu’il ne s’attache au fond. Assaisonner à point et laisser réduire doucement sur l’angle du fourneau en remuant souvent. Passer et achever par l’addition de beurre frais. »
Bon, là, c’est bien. Mais il y a le commentaire :
« BÉCHAMEL (Marquis Louis de Béchameil) ; par altération Béchamel. — Financier qui s’enrichit pendant les troubles de la Fronde et devint le maître d’hôtel de Louis XIV. Grand amateur de bonne chère, il s’est acquis une certaine renommée parmi les célébrités gastronomiques de l’époque. Il laissa la sauce à la Béchameil qui survécut en se modifiant comme son nom. Béchamiel, Marquis de Nointel, mourut à Paris, en 1703. »
« On dira donc une sauce béchamelle, un vol-au-vent à la Béchamel, à la façon de M. de Béchamel. Des œufs à la sauce béchamelle; des œufs à la Béchamel. L’orthographe sauce Béchamel doit être rejetée.
Dans l’origine cette sauce n’était autre que le velouté réduit et additionné de crème pendant sa réduction. Elle était ainsi faite au temps des Carême, des Laguipière, et d’autres grands artistes du commencement de ce siècle. La perfection la fit confectionner avec de la crème, les cuisiniers de restaurant la vulgarisèrent faite avec du lait. »
Ici, on voit que Favre n’est pas exact. Il ajoute :
« Les dictionnaires des linguistes en donnent tous des explications erronées, Littré dit : « Espèce de sauce faite avec un peu de farine roussie dans du beurre frais et de la crème ou du lait. » C’est inexact ; la farine doit être cuite dans le beurre sans être roussie, la blancheur étant la première condition de forme de cette sauce. »
Oui, là, il a raison, car François Marin stipulait bien que la sauce devait être aussi blanche que possible.