Crème pâtissière : dans quel ordre mettre les ingrédients ?

Cette fois-ci, je suis à nouveau le filon des dénominations si courantes que nous ne nous demandons même plus si nous les utilisons à bon escient… et nous découvrirons que nous sommes souvent bien péremptoires ou bien imprudents.

Cette focalisation sur la crème pâtissière m’est venue d’un professionnel, qui m’interrogeait sur l’ordre d’incorporation des ingrédients : faut-il mettre la farine, ou la maïzena, avec le jaune et le sucre, avant de fouetter, ou après ? Sans avoir expérimenté, je ne sais pas répondre, même si j’ai le sentiment qu’il vaut mieux faire d’abord le « ruban », avec les jaunes et le sucre, avant d’ajouter la farine. Quant à la maïzena… Au fait : il n’y avait pas de maïzena, dans le temps ! Bref, posons-nous d’abord la question : qu’est-il légitime de nommer « crème pâtissière » ?

Pour Emile Darenne et Emile Duval, en 1911, la crème pâtissière s’obtient en travaillant 500 grammes de sucre en poudre avec 12 jaunes d’œufs ; on ajoute ensuite 100 grammes de farine, un grain de sel, un litre de lait bouillant vanillé ; on porte rapidement à ébullition, en remuant à l’aide d’une spatule pour éviter d’attacher. Et nos auteurs de proposer des variations : 500 grammes de sucre, 16 jaunes, 125 grammes de farine, et un litre de lait pour une crème pâtissière fine, par exemple. Ou encore d’autres possibilités, mais toujours avec le même protocole.

Pour M. Dumont, trois ans avant, c’est environ la même chose, mais il propose cette fois de battre tout ensemble, 125 grammes de sucre, 25 grammes de farine, 4 jaunes d’oeufs, sel, de travailler le tout à la cuiller avant de délayer progressivement avec un quart de litre de lait infusé à la vanille et bouillant ; puis on cuit pendant deux minutes. Et c’est la même chose pour le Guide culinaire, antérieur de quelques années.

Joseph Favre est plus précis, en 1896, puisqu’il signale que « crème pâtissière » désigne «  toutes les crèmes liées sur le feu et usitées pour les entremets et les pâtisseries ». Son prototype se fait avec 250 grammes de sucre, 60 grammes de farine pour un demi litre de lait vanillé, mais il ne dit pas le protocole. Contrairement à Pierre Lacam, en 1878, pour lequel on on mélange 500 grammes de casserole et 8 œufs entiers, avant de mouiller avec un litre et demi de lait ; on cuit pendant 20 minutes ( oui, vous avez bien lu : vingt minutes!), et il n’y a pas de sucre.

Mais c’est avec Jules Gouffé que nous trouvons mieux, en 1873 : il parle d’une « crème pâtissière dite frangipane », avec 200 grammes de farine, 4 œufs entiers, 6 jaunes, 1 litre de lait, 60 grammes de beurre, 100 grammes de sucre en poudre, une petite pincée de sel. On travaille les œufs, les jaunes, la farine, le sucre, puis on ajoute le lait, le berre, et l’on tourne pendant 25 minutes sur le feu pour éviter qu’elle n’attache.

Avant lui, Louis Bailleux, en 1856, parle inversement de « frangipane, dite crème pâtisserie », avec farine, œufs, lait et beurre ; puis de nouveau des œufs et du sucre, eau de fleur d’oranger et beurre noisette.

Et terminons bien plus tôt, en 1772, avec le Dictionnaire portatif de cuisine anonyme, qui donne la recette suivante :

Recette de 1772

«  Crème pâtissière : Délayez une demi-livre de farine avec douze œufs frais. Quand cela est fait, ajoutez-y encore douze œufs battus. Faites bouillir deux pintes de lait ; jettez-y votre pâte & remuez toujours. Jetez-y environ une demi-livre de beurre, un peu de sel & de poivre blanc ; ne laissez pas attacher votre crème ; étant cuite, laissez refroidir. Quand vous l’emploierez en tourte, que ce soit avec des abaisses de feuilletage ; ajoutez-y du sucre & de l’écorce de citron confite, hachée menu, un peu d’eau de fleurs d’orange, quelques jaunes d’œufs : travaillez le tout avec la gâche. Pour les jours gras, mettez-y de la moëlle de bœuf fondue, & du beurre fondu pour les jours maigres. »

Que retenir ?

Que nos anciens n’auraient jamais faire un pauvre mélange de farine, œuf et sucre : ils n’oubliaient pas qu’il y avait lieu de donner du goût et du moelleux, notamment avec le beurre noisette, mais, aussi, avec les zestes, l’eau de fleur d’oranger. Cette conclusion tirée, croyez-moi : je vais changer ma pratique  personnelle !

Par Hervé This