Jadis, les possibilités de maintenir une préparation à une température précise étaient limitées : on savait qu’un mélange d’eau et de glace était à une température de 0 degrés Celsius, et que de l’eau bouillante était à 100 degrés (environ, au niveau de la mer). Le braisage se faisait « cendres dessus et dessous », et l’on craignait le « coup de feu », qui ruinait les soins, en durcissant les viandes.
Les cuisiniers qui ont exercé avant les années 1970 m’ont raconté que, avec des fourneaux à bois ou à charbon, on devenait capable de bien « sentir le feu », c’est-à-dire trouver le bon endroit du fourneau pour y placer une casserole. Les thermomètres, toutefois, étaient absents des cuisine et ce fut un apport considérable de la « cuisine moléculaire » que d’introduire en cuisine l’usage de thermo-circulateurs, bien gradués, pour chauffer à des températures précises entre 0 et 100 degrés Simultanément les fabricants de four m’avaient sollicité pour que je les conseille en vue de la mise au point de fours réglables au degré près, pour les basses températures, comme pour les hautes températures. Et le métier s’est considérablement modernisé.
Que devient le bain-marie, dans cette affaire ?
Pierre Lacam, dans son Nouveau Mémorial de la pâtisserie, nous en indique son emploie en pâtisserie : « Mettre une crème ou sauce avec sa casserole dans de l’eau bouillante et la remuer ou faire cuire ». Car oui, c’était cela : le bain-marie, c’est de l’eau bouillante, dont la température est de 100 degrés, même dans un four qui serait à 200 degrés. C’était, pour les charcutiers, la possibilité de cuire des terrine longuement, mais sans trop chauffer la mêlée , avec toutefois une croûte si l’on ne couvrait pas.
Et d’où vient cet ustensile ? De l’alchimie ! A propos de la technique du bain marie, au 4e siècle, le philosophe alchimiste grec Olympiodore fait allusion à un personnage nommée Marie, qui aurait été une alchimiste nommée aussi Marie-la-Juive. L’expression balneum Mariae, « bain de Marie », est attesté en latin médiéval du début du 14e siècle. En 1516, J. Perréal, dans une Complainte de Nature à l’alchimie, signale que le bain-marie est une manière de chauffer un corps par contact indirect avec la source de chaleur en le plongeant dans un bain d’eau que l’on porte à ébullition. Et il y a une hypothèse selon laquelle Marie-la-Juive serait la sœur de Moïse et d’Aaron, la prophétesse Miriam : Miriam est le nom hébreu de Marie, et on lui prête d’avoir rédigé des traités d’alchimie.
Cependant, on sait combien les textes alchimistes ne sont pas fiables, avec leur volonté « hermétique », de ne pas dire les choses, pour réserver le savoir à des « initiés ». Pour en savoir plus à ce sujet, un excellent livre a été publié par Didier Kahn sous le titre Le Fixe et le volatil : chimie et alchimie, de Paracelse à Lavoisier (CNRS Editions, 2016).
Nous reste en tous cas la question : à quoi bon des bains-marie, aujourd’hui, alors que nous avons des fours bien réglés ?
Par Hervé This