En cuisine, il y a les mots dont on connaît la signification, les mots dont on croit connaître la signification, les noms dont on ne sait pas la signification… et la terminologie « à la Godard » est de celle-là pour beaucoup d’entre nous. D’ailleurs, le mot ne figure pas dans les dictionnaires généraux.
On le trouve dans le Guide culinaire : il y a une « sauce Godard », qui s’obtient par réduction de vin blanc avec une mirepoix au jambon, de la sauce demi-glace, de l’essence de champignons ; on réduit et l’on passe à l’étamine. Cette sauce donnerait son nom à la garniture « à la Godard », qui en ferait usage (sans que le texte soit très clair à ce sujet).
Cherchons donc mieux, avec Joseph Favre, qui dit de la garniture à la Godard : « Ragoût à la demi-glace et composé de ris de veau piqués et glacés, de têtes de champignons, de truffes et de quenelles décorées aux truffes ». C’est quand même autre chose ! Et, pour la sauce à la Godard : « Passer un appareil mirepoix, sans poivre, à la poêle ; lui faire prendre couleur, le dégraisser et le mettre dans une casserole avec de la sauce espagnole réduite et du jus de champignons frais, faire cuire ; passer la sauce et réserver au bain-marie. Cette sauce sert pour la composition du ragoût ou garniture à la Godard. » Mieux encore, il y a une note « Lorsqu’il s’agit de filet de bœuf ou viande braisée, on remplace la sauce espagnole par la décoction ou fond de la pièce braisée ; mais l’adjonction du jus de champignons est indispensable. C’est à tort que l’on a appliqué cette garniture sous forme de ragoût blanc aux volailles cuites à blanc, la forme glacée et brune étant les caractères qui distinguent la Godard des autres garnitures similaires ».
Bon, mais, même chez Favre, il n’y a aucune référence, et c’est un témoignage d’usage, qui ne valent que par la connaissance particulière d’une personne. Rien ne vaut, en revanche, la consultation des textes anciens.
Par exemple, pour Urbain Dubois, élève de Carême et maître d’Escoffier, la garniture à la Godard, pour relever se compose de grosses quenelles décorées aux truffes, petits ris de veau, escalopes ou grenadins piqués et glacés, truffes et têtes de champignons entières. On dresse ces garnitures en groupes autour des pièces ; les quenelles et les champignons sont légèrement saucés, les truffes et les grenadins sont glacés.
Pour Jules Gouffé, c’est différent : on fait la sauce à partir de 200 grammes de jambon, 100 grammes de beurre, une carotte moyenne, et un oignon moyen ; on fait blondir, on mouille avec un demi litre de vin blanc et on cuit pendant 25 minutes (c’est précis!) ; on écume, on passe et on ajoute 20 centilitres d’essence de champignon et un litre d’espagnole ; on fait réduire jusqu’à masquer la cuiller.
Pourrons-nous trouver plus ancien ? Rien de bien clair chez André Viard, dont le Cuisinier impérial a suivi un Cuisinier royal (on alternait selon les régimes!). En revanche, je retrouve un aloyau à la Godard chez François Massialot, en 1705 : il s’agit d’un aloyau à demi rôti, que l’on termine avec des truffes, des champignons, des morilles, des artichauts, et que l’on serve avec un autre ragoût de champignons, de culs d’artichauts, de ris de veau, de crêtes de coq, le tout bien lié.
Décidément, c’est cela qu’il faudra retenir, puisque c’est la plus ancienne mention. Il faut des champignons, des artichauts, et une liaison. Que cette dernière résulte d’une réduction de vin, éventuellement de vin de Champagne, et qu’il y ait aussi une demi-glace est seulement une possibilité, et la présence de jambon, aujourd’hui plus courante que le ris de veau ou la crête de coq, est une possibilité. La recette précise de Gouffé, en revanche, manque de l’artichaut.
Par Hervé This