2ème fermeture administrative, la profession sous perfusion
Fermés administrativement depuis 3 semaines, à chaque prise de parole gouvernementale, les professionnels du CHR sont partagés entre la colère, la tristesse, nourris par une grande inquiétude quant à leur devenir.
À la date du 20 novembre 2020, la possibilité d’une ouverture fin novembre/ début décembre des commerces (hors cafés, bars, restaurations) non essentiels pointent à l’horizon. Mais pour influencer cette décision de nombreuses pressions sont exercées par des maires et des préfets qui signent des arrêtés retoqués par la justice, des « marches funèbres », notamment celles des commerçants des vitrines de Colmar, ou encore des recours contre le décret du 29/10 déposé ce jour par l’UMIH (20/11) pour dénoncer l’inégalité, l’injustice et la concurrence déloyale des restaurants de collectivités, autoroutiers et cantines scolaires, qui eux, restent ouverts.
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Qu’il faille apporter sa contribution à « l’effort de guerre » n’est jamais remis en question par la profession. La santé prime, cette prérogative est unanime. Mais la santé financière, elle, est en réanimation, sous perfusion. La santé morale contamine avec un taux d’incidence supérieur à 2, faisant pointer une inquiétante pandémie dépressive. Le métier, déjà réputé difficile, sacrifiant la vie privée submergées par le nombre d’heures travaillées, pourrait observer de nombreuses fermetures. N’est-ce pas un comble, l’année où le repas des Français, classé au patrimoine immatériel et mondiale de l’Unesco, fête ses 10 ans ?
Tour d’horizon sur les promesses de l’État, les aides effectives, le point sur le scandale des assurances et la perte d’exploitation. Tandis que des plateformes de e-commerce sont stigmatisées, (Amazon vient d’annoncer le report du Black Friday au 4 décembre) chaque commerçants de proximité se transforme en e-commerce, avec le Click & Collect. Quid de sa pertinence ? De sa rentablité ? Quid de la menace sur certains emplois ? Quid de la déshumanisation du commerce en générale et des services ?
Préjudice financier et promesses non tenues
Les CHR auront pourtant répondu à toutes les demandes, réduisant de 50% leur chiffre d’affaires et investissant financièrement pour mettre en place les deux protocoles, se résignant aussi lors du couvre-feu. Rien n’y fait : l’ensemble des bons et mauvais élèves sont « sanctionnés » indistinctement. L’État cause un lourd préjudice financier aux entreprises du CHR, du tourisme et de l’événementiels, il s’est pourtant engagé à les soutenir « Quoi qu’il en coûte ! ».
Les effets d’annonces nourrissent de faux-espoirs qui se transforment en colère. Les aides ne sont pas au rendez-vous. Une déclaration d’intention n’est qu’un levier de communication, relayée dans les médias, elle peut ressembler dangereusement à une information; comme la possibilité d’être exonéré des loyers, des charges et la promesse de faire pression sur les assurances.
Force est de constater que les promesses ne sont pas au rendez-vous, les aides sont, sous conditions suspensives et toutes les entreprises ne sont pas éligibles.
La première fermeture administrative a essuyé les plâtres de l’adaptation et de la mise en œuvre des aides. Oui mais la seconde ? La seconde vague annoncée depuis cette été aurait dû permettre au gouvernement de se préparer, signer des décrets opérationnels pour être plus réactifs, car toutes les charges courantes, elles sont maintenues. Mais sans entrée d’argent, comment les payer ?
Les assurances qui ne prennent pas en charge la perte d’exploitation
Le 11 novembre 2020, Jean-François Piège médiatise son bras de fer avec AXA. Le chef médiatique du « Grand restaurant » à Paris s’est vu refuser l’indemnisation, puis s’est vu contraint de signer un avenant de contrat diminuant encore ses garantie. Comme le chef a refusé de signer, AXA résilie son contrat. « Voilà comment AXA exprime sa solidarité !», lâche le chef.
Mais surtout voilà comme les assurances expriment leur toute puissance!
Dès le mois de mars, le collectif Resto Ensemble annonçait 30% des établissement HCRD (Hôtels, cafés, restaurants et Discothèques) risquent de faire faillite et ne pas ré-ouvrir. Philippe Etchebest, Michel Sarran ou encore Régis Marcon en chefs de file dénoncent :« Des centaines de milliers d’emplois sont menacés face à la sourde oreille des assureurs concernant la reconnaissance de la perte d’exploitation. On génère 2 millions d’emplois indirects et directs. […] Si nous on ferme, on va mettre en péril beaucoup d’autres professionnels ».
La profession souhaite travailler !
Les professionnels exigent que les assurances remplissent leur part du contrat, au lieu de brandir les exclusions pour épidémie et pandémie. De rares exceptions ont obtenu gain de cause, à l’instar de l’Alsacien Stéphane Manigold tête du groupe Eclore (SAS Maison Rostang). Ce qui offre une lueur d’espoir pour des actions collectives, à l’instar du Collectif Resto Ensemble ou encore la plate-forme www.umih-contentieuxassurances.fr ouverte par les syndicats. « 140 dossiers ont été déposés dans le Bas-Rhin annonce Roger Sengel. « Ils sont étudiés gratuitement pour voir si ils ont une chance d’aboutir ». Le président de l’UMIH Alsace est très énervé.
“La profession souhaite travailler ! “
” L’état est en train de tuer une profession”
“Qu’on me cite un seul cluster dans un bar, un restaurant ou un hôtel ! “, lance-t-il. “C’est un grand coup de colère ! L’état est en train de tuer une profession, de sacrifier l’économie touristique complète sur l’autel du virus”. Ce jour (20/11) les syndicats unis ont lancé une action en justice pour dénoncer l’ouverture des cantines scolaires, des restaurants de collectivités et des restaurants autoroutiers. Nous voulons un système égalitaire ! Si l’espoir existe, je souhaite que les CHR ouvre en même temps que les commerces, mais surtout qu’il n’y ait jamais de 3ème fermeture. Ce serait catastrophique à ce jour, des dizaines d’établissements se sont placés sous sauvegarde judiciaire. Certains font du traiteur, que je préfère au vilain mot click and collect, mais beaucoup jettent l’éponge, car ce n’est pas rentable. Nous avons appris un métier, ce n’est pas pour se réinventer dans un autre ! “, grogne-t-il.
Il n’y a pas le même engouement qu’au premier confinement
Entre le premier confinement et le second, la donne a changé.
Rompue à l’exercice et s’appuyant sur les outils mis en place en mars dernier, très vite la profession a lancé les repas à emporter et livraisons à domicile via le click and collect. La première fois, il fallait lancer son affaire, acheter des contenants, investir dans l’outil digital, se former à son utilisation, créer des menus spéciaux qui se « conditionnent », réfléchir à un prix de vente, qui intègre le cas échéant la charge salariale utile à l’élaboration des repas. Le modèle économique étant mis en place, la machine s’active dès les premiers jours.
“Mais, n’y a pas le même engouement”, reconnaissent les restaurateurs. “Le froid, la pluie, la nuit portent préjudice à la solidarité. Nos clients sont démoralisés, parfois désagréables, ils sont capables de m’appeler pour me dire qu’il n’y en avait pas assez, que c’est froid, pas assez cuit, alors à quoi bon ?”, s’interroge le cuisinier se disant “au bout du rouleau”. En 40 ans de métiers, je n’ai rien vu de pareil, conclut-il très inquiet pour sa fin de carrière. La morosité s’installe.
“Il y a un juste équilibre financier à trouver pour ne pas basculer dans la non-rentabilité, ce serait vraiment beaucoup d’énergie dépensée pour rien. J’ai l’habitude de travailler de beaux produits, de soigner les dressages, et remplir des barquettes ne m’apportent pas de satisfaction”, souligne un maitre-restaurateur. “J’ai des clients qui se plaignent des barquettes en alu et en carton, non écologiques. Rien n’est parfait, nous faisons des efforts et je reste abasourdi voire découragé. Je préfère rester fermé que répondre à des attaques mal placées”.
La solidarité est mise à mal, le personnel soignant n’est plus applaudi à 20h et les repas solidaires sont sur le banc de touche.
J’aurai aimé un retour solidaire
” Je remarque un changement énorme par rapport à la 1ère fermeture”, reconnait Christophe Fischer de la S‘musauer stuebel à Strasbourg. ” Il y a trop de monde dans la rue, à mon goût, ce n’est pas sérieux. On travaille bien, mais moins bien quand même (-20%). On se sent seul ! On est les seuls à être stigmatisés, ce n’est pas normal. J’aurai aimé qu’il y ait un retour de solidarité des écoles, des hôpitaux, des gendarmes, qui seraient venus en tant que clients ou commander des repas à emporter chez les restaurateurs”, déplore-t-il. ” Mais il n’y a pas eu de retour, c’est dommage. Je préfère cette fois aider ceux qui sont dans la rue, sans emploi et les étudiants”, mentionne-t-il, “aider ceux qui sont dans le besoin.”
Cellule de crise et soutien psychologique
“Nous avons une belle reprise coté traiteur”, constate Yannick Germain de l’auberge au Bœuf à Sessenheim. “Mais, nous avons maintenu cette activité entre les deux fermetures et le bouche à oreille est payant. Par ailleurs, il est important de garder un lien avec nos équipes et notre clientèle. Mais, avec 55.000€ de charges fixes/ mois, je limite juste l’hémorragie. Je suis davantage inquiet par le moral en général des clients, des équipes et des confères. Il faut absolument se soutenir au sein des associations et des syndicats. On entends déjà parler de cas de suicides”, dit-il signalant la mise en place de cellules de crises et de soutien psychologique pour les chefs d’entreprises.
Soulager l’entreprise des congés payés
Véritable entrepreneur Olivier Nasti au Chambard à Kaysersberg annonce se battre tous les jours pour sauver son entreprise. “J’ai 200.000 euros de charges incompressibles tous les mois. 5 mois de fermetures représentent 1 million d’euros, et je n’ai même pas droit au 10.000€. Je ne suis éligible à rien. A cela, vous rajoutez les 2,5 jours de congès payés cumulés par mois pour mes 65 employés (900 jours sont dus/ 5 mois). 400.000€ sont estimés par OlivierNasti pour les congès payés des employés, restés chez eux et touchant le chômage partiel. Au total 1,400.000 euros. “C’est un gouffre ! ” lâche-t-il, tout en cuisinant pour le service de midi. ” Ce sont de gros montants chez moi mais cela impact proportionnellement toutes les entreprises. On ne se bat pas sur les bons dossiers, je voudrais que les syndicats négocient la prise en charge des Congès Payés.”
Dès la fermeture, le Meilleur Ouvrier de France a activé tous les leviers mis en place lors du premier confinement. Le drive gastronomique, les 4 points de ventes, le food-truck qui se décline aussi en version sucré et son marché gastronomique le mardi soir et samedi matin, “pour ne pas perdre de la marchandise”.
“Une entreprise est faite pour tourner et se développer, c’est sa raison d’être. J’ai retrouvé l’envie de créer et c’est le plus important “. Autre nouveauté, chaque semaine il propose un plat haut de gamme, cette semaine un lièvre à la Royale, puis un gratin de homard et un plat avec du caviar La semaine prochaine, il va signer un menu avec Éric Fréchon, Arnaud Donckel et Christophe Felder/ Camille Lesecq. ” Je ne vais pas me laisser abattre”, dit-il, “Certes il y a moins de demandes de repas (120/jours contre 250/ jours) à emporter pour l’instant, c’est la raison pour laquelle je ne cesse d’innover. Mais cela va monter en puissance, chaque jour je gagne des clients”. Si 190.000€ de CA ont été réalisés en novembre, Olivier Nasti mise sur un estimatif de 350.000€ en décembre avec ses nouvelles offres et prestations qu’il va bientôt annoncer.
La profession est sous perfusion
Les bouchers-charcutiers-traiteurs sont structurés pour la vente des plats à emporter toute l’année. “On est un des métiers les moins mal lotis”, reconnaît Jean-Luc Hoffmann, président de la Chambre des métiers d’Alsace et boucher-charcutier-traiteur à Haguenau. “Par rapport au 1er confinement, les artisans des métiers de bouche sont mieux organisés, nous étions prêts, avec le constat que les clients prennent moins du click and collect. Ils sont rassurés, ils se sentent en sécurité dans nos boutiques de proximité, ils ont envie de maintenir ce lien social. Nous sommes moins impactés aujourd’hui, mais nous subirons les conséquences et dommages collatéraux dans un ou deux ans, quand, la perte du pouvoir d’achat sera généralisée. A ce jour, il y a 10 millions de Français en état de pauvreté. Nous avons conscience d’être sous perfusion. En 2021 ou 2022, il faudrait bien commencer à rembourser les PGE, mais les commerçants seront-ils en capacité ? »
Les Prêts Garantis par l’Etat (PGE) sont considérés comme un endettement supplémentaire. Qui aurait envie d’emprunter des milliers d’euros juste pour rembourser des charges et payer les congès payés ? Le PGE reste un crédit, dont le taux d’intérêt pourrait s’élever jusqu’à 2,5%. Une triste aubaine pour les banques.
” Nos équipes et nos clients nous manquent ! “
” Je suis beaucoup moins serein qu’au premier confinement », confie Gérard Goetz, chez Julien à Fouday. ” On manque de visibilité. On a déjà utilisé le 1er PGE et on a fait une demande pour un second. Nous n’avons droit à aucune aide et les charges incompressibles s’élèvent aux environs de 400 000€ /mois. Je vois un gros souci au niveau des Congès Payés”, s’alarme Gérard Goetz, enjoignant les syndicats et l’État à intervenir. “Nous avons ouverts en juin on était complet, on a fermé en octobre complet aussi. Mais, quand nous aurons l’autorisation de ré-ouvrir, nos équipes pourraient ne pas être au complet. Ne serait-il pas possible de solder les CP en décembre ? “, interroge-t-il.
“On est un peu démoralisé, c’est vrai”, reconnait-il, “car nos équipes et nos clients nous manquent”, confie-t-il. ” Quand je vois cette grande maison habituellement si pleine de vie, c’est un peu triste. heureusement cela va mieux depuis que nous avons mis en place les décorations de Noël. La magie opère et les clients qui viendront chercher les repas à emporter (en décembre), pourront en profiter”.
En vidéo : les décoration de Noel chez Julien à Fouday
Comme chaque année, Gérard Goetz organise des MARCHÉS DES SOUPES DE NOËL les Samedi 14 et Dimanche 15 décembre entre 14h et 20h, avec des dégustations de Soupes, des chalets de décorations, une crèche vivante, les concerts de fanfare et chorales, les marrons chauds, vin chaud et autres gourmandises.
Enfin, GérardGoetz et sa famille mettent aussi à profit cette période pour finaliser un projet d’envergure, déposant un nouveau permis de construire en avril-mai 2021 pour agrandir l’accueil-réception, et les espaces de la maison.
Fermeture optimisée et grands travaux engagés
A la Cheneaudière, Nicolas Decker se montre plus serein. “En juin, j’avais deux grandes inquiétudes, qui étaient celles de la mise en place du protocole sanitaire et du retour des clients. J’ai eu des réponses très positives à ces deux questions. Nos équipes sont formées, les clients ont répondu présents encore plus nombreux, avec des chiffres d’affaires jamais atteints. Les clients vont revenir, ils ont envie de se faire plaisir et leur épargne a augmenté. Ce qui a changé, c’est que nos équipes sont moins angoissées, elles savent que l’entreprise est saine et nous avons décidé de leur maintenir leur salaire à 100% en novembre.
“Avec Jean-René Grau, nous allons profiter de la fermeture pour se mettre à jour sur des dossiers, notamment le développement du site internet et la poursuite des travaux, avec la construction d’une villa pour 15 personnes composée de 5 suites communicantes, avec terrasse, jacuzzi. C’est un nouveau produit, auquel je crois beaucoup. Un nouveau bâtiment de 5 étages va également sortir de terre, pour agrandir le spa, la cuisine et les bureaux administratifs”. Je ne suis pas optimiste, je suis réaliste, je poursuis les investissements prévus, car je suis confiant dans l’avenir”.