En Alsace, la « bouchée à la reine » est souvent servie, mais l’expérience de ces tables montre qu’il y a une hésitation avec le vol-au-vent. De quoi parle-t-on au juste ? Selon le Trésor de la langue française informatisé du CNRS, un vol au vent est un pâté chaud formé d’une croûte feuilletée légère, cylindrique, garnie soit de poissons, d’abats ou de viandes, de quenelles et de champignons, liés par une sauce. On trouve l’appellation en 1750.
La bouchée, elle, est une petite croûte de pâte feuilletée, un petit vol-au-vent dont l’intérieur est garni de petits morceaux de viandes ou de poissons divers en sauce, se servant comme entrée. Là, c’est clair : l’objet individuel est bien une bouchée à la reine.
Mais on sait que ce dictionnaire est rudimentaire, pour ce qui concerne la cuisine. Allons voir dans le dictionnaire « universel » de Favre. Notre homme indique que, en cuisine, une bouchée est petit vol-au-vent qui varie de nom selon la forme et les garnitures qu’il contient. Il y a de la cohérence. La garniture ? Favre préconise de réduire une sauce suprême, une sauce allemande ou du velouté fait avec du bouillon de volaille, de couper en petits dés des truffes, des champignons blancs, des ris de veau et du blanc de volaille; de jeter dans la sauce précitée et en garnir les croûtes sus-mentionnées.
Il distingue ces bouchée à la reine des bouchées à la crème (béchamelle, cervelles de veau, de la moëlle épinière de bœuf), des bouchées à la financière (truffes, champignons, blanc de volaille, langue écarlate, jambon, ris de veau chauffés dans une sauce madère réduite), mais aussi des bouchées aux crevettes, ou aux huîtres , au foie de lotte, aux laitances de poissons, au palais de bœuf ou à la Monglas, ces dernières étant caractérisées par la présence de foie gras et de truffes, notamment. Amusant d’observer que Favre observe « C’est ainsi que se sont faites les premières bouchées à la Monglas, et dont l’invention est due à deux artistes de l’antiquité; le ragoût à la Monglas, à Laguipière et la croûte feuilletée à son digne élève Carême. De nos jours, on sert malheureusement des bouchées à la Monglas sans truffes ni foie gras, il serait cependant plus digne de ne pas profaner les aliments en confondant et les noms et les mets. »
Pour toutes ces recettes, pas d’hésitation : il y de la pâte feuilletée… mais on a hélas oublié les « timbales », qui n’ont pas démérité. Pour la bonne bouche, je vous livre une recette tirée du merveilleux livre de cuisine de « Madame Saint-Ange » (Larousse, 1925) :
Extraite d’un cahier familial de provenance alsacienne, cette recette procure une croûte exquise, dont la pâte rappelle celle d’une brioche mousseline. C’est la façon usitée en Alsace de travailler la pâte qui procure cette légèreté toute particulière, sans l’emploi d’aucune levure. À volonté, on met dans cette croûte une fricassée de poulet ou des champignons, ou une compote de fruits : elle sert à toutes fins.
Proportion pour sept ou huit personnes : 125 g de beurre frais. ; 6 cuillerées à bouche de crème légère ; également 6 cuillerées à bouche de fine farine de gruau sèche (125 g au total) ; 6 oeufs frais moyens ; une forte pincée de sel ; une cuillerée de fine chapelure.
Un moule à charlotte mesurant environ 1 litre et quart de capacité. À défaut, une petite casserole de ces dimensions peut le remplacer. Le moule ne doit être plein qu’aux trois quarts, la pâte se développant durant la cuisson. Temps nécessaire : une heure trois quarts.
Ordre du travail. Tamisez la farine. Beurrez le moule et saupoudrez-en l’intérieur avec la chapelure. Prenez une terrine de faïence de moyenne grandeur pour y pouvoir battre à l’aise la pâte. À l’aide d’une large cuillère de bois, travaillez-y d’abord le beurre. Lorsqu’il est parfaitement lisse, ajoutez une cuillerée seulement de crème. Travaillez jusqu’à ce qu’elle soit absolument confondue avec le beurre ; cette première cuillerée est la plus longue à délayer. Ajoutez le sel. Ajoutez ensuite un jaune d’ œuf. Battez pour bien mélanger. Après quoi, ajoutez une cuillère de farine. Délayez en battant la pâte .
Reprenez alors l’ordre du début : cuillerée de crème, jaune d’oeuf, cuillerée de farine. Chaque élément étant parfaitement mélangé avant que s’ajoute l’élément suivant, et le mélange s’effectuant par le travail vigoureux de la cuiller, qui doit soulever la pâte assez haut : cela pour faire absorber de l’air à la pâte qui acquiert ainsi plus de légèreté.
Battez ensuite les blancs en neige ferme et incorporez-les à la pâte avec les précautions indiquées. Versez la part d’une seule coulée dans le moule ; frappez légèrement le fond du moule sur la table pour tasser la pâte. Mettez tout de suite au four, directement dans le bas.
Et cette timbale se garnit comme des bouchées à la reine, par exemple.
Par Hervé This