L’historien Jean-Louis Flandrin avait publié une histoire de la blanquette, qu’il voyait comme un « plat bourgeois ». Pourquoi pas, mais est-ce exact ? Et puis, qu’est-ce qu’une blanquette, au juste ? Est-ce toujours avec du veau ? Est-ce toujours blanc, comme le nom semble l’indiquer ? De quoi la préparation date-t-elle ?
Commençons avec un dictionnaire professionnel : celui de Joseph Favre, qui date de 1905. On y trouve une blanquette de veau, qui s’obtient à partir de veau taillé en cubes, dégorgés à l’eau froide ; les cubes sont blanchis avec un bouillon à l’eau, refroidis, puis cuits dans de l’eau et du vin blanc, avec carottes, oignon clouté, bouquet de persil, une gousse d’ail. On ajoute un roux blanc et on lit au jaunes d’oeufs, avec beurre et jus de citron. On sert avec de petits oignons glacés, et « l’adjonction de champignons et d’œufs cuits durs est facultative ».
C’est un bon point de départ, mais cela ne nous renseigne pas sur l’origine de la recette, et cela ne nous dit pas non plus si cette indication de Favre est juste : après tout, il ne donne aucune référence !
Un peu avant lui, Urbain Dubois, élève de Marie Antoine Carême donne des indications plus précises à propos du dégorgement (plusieurs heures), même si sa recette est souvent fautive : par exemple, il propose de tailler la viande en carrés, alors que c’est en cubes, et il propose de faire bouillir la viande, ce qui la durcit, alors qu’on aura intérêt à la faire seulement frémir, et longuement, afin de l’avoir bien tendre. Puis il fait revenir un oignon, singe la viande, et obtient la liaison du liquide cuisson ajouté, ajoutant finalement persil, laurier, parures de champignons, grains de poivre et clous de girofle ; puis il fait réduire la sauce à part, la lie au jaune d’oeuf, et termine avec muscade, persil haché et le jus d’un citron.
A la même époque, Jules Gouffé distingue une blanquette de ménage et une blanquette d’apparat, mais la recette est globalement la même. Remontons donc jusqu’en 1806, et l’on trouve une « blanquette de Veau aux champignons », dont le titre indique que la blanquette n’en comporte pas, mais que l’on peut en ajouter, en les spécifiant. En revanche, la recette est la même.
Et la plus ancienne ? Dans les Dons de Comus, en 1742, on trouve des blanquette de veau, mais aussi des blanquette de cochon ou de lapereau, preuve que la blanquette est une recette générique, et indication que la terminologie « blanquette de veau » s’impose si l’on exécute la recette avec du veau. Puis, quelques années avant, dans Le Cuisinier moderne, publié en 1735 par Vincent La Chapelle, on trouve la recette suivante :
« Prenez un gros bout de longe de veau rôti, froid, & le coupez par petites tranches ; mettez un morceau de beurre dans une casserole sur le fourneau : étant fondu, mettez-y une pincée de farine, & la faites cuire un moment, & y mettez de la ciboule ; ensuite, mettez-y le veau, & l’assaisonnez de sel, & de poivre, & lui faites faire deux ou trois tours, & le mouillez d’un peu de bouillon, & lui laissez prendre trois ou quatre bouillons ; ensuite, liez-le d’une liaison de trois ou quatre jaunes d’œufs, & de crème, & un peu de persil haché, & le remuez toujours sur le feu, de peur qu’il ne tourne : étant lié à propos, voyez qu’elle soit d’un bon goût, & la dressez dans un plat, & la servez chaudement. »
Autrement dit, notre recette moderne est une interprétation dévoyée d’une cuisson de viande, avec liaisons de farine et de jaune d’oeuf, et l’ajout de bonne crème. Les champignons, le citron, le vin ne sont que des interprétations, et pas des obligations.
Par Hervé This