Tout savoir sur la Chantilly !

Les sciences de la nature sont une activité où l’on ne cesse de chercher des « validations » : cela signifie que l’on ne prend jamais un résultat, même expérimental, sans chercher à le reproduire, parce que l’on sait trop bien qu’il peut y avoir mille biais, mille possibilités de se tromper : on sait que le Diable est caché derrière chaque geste expérimental, chaque mesure, chaque calcul… et, en conséquence, on le pourchasse sans relâche. Et puis, on ne cesse de s’interroger sur les « bases » de notre travail. C’est ainsi, par exemple, qu’Albert Einstein a introduit la théorie de la relativité en se demandant ce qu’est la vitesse, l’énergie, l’inertie…

Par Hervé This

N’aurions-nous pas intérêt à faire de même en cuisine ? D’une certaine façon, c’est un peu ce qu’enseigne l’anecdote suivante. Lors de la préparation d’un de ces billets terminologique, j’ai été conduit à évoquer la Chantilly. Pour moi, une telle crème était évidente : de la crème fouettée que l’on sucre, n’est-ce pas ? Et bien, pourtant, voici ce qu’en dit le Guide culinaire : « Chantilly – Sauce mayonnaise tenue très épaisse, additionnée de 4 cuillerées à bouche de crème fouettée au litre. Ici, le citron doit être employé comme condiment acide, à l’exclusion du vinaigre. ». Quoi, une Chantilly serait une mayonnaise avec crème fouettée ? Cela valait la peine d’aller y voir plus loin, car on sait bien que le Guide culinaire est un mauvais livre, qui a eu la prétention de rénover les terminologie au mépris de toute l’histoire de la cuisine (que les auteurs du livre n’ont pas faite).

Chantilly

Bref, dans un tel cas, mon premier réflexe est de consulter d’abord le Dictionnaire universel de la cuisine, de Joseph Favre, avant de repartir du Viandier et de descendre les siècles.

Pour Favre, voici, donc : « Fouetter la crème dans une bassine étamée, ou dans une terrine en grès posée sur la glace; au moment de servir, la saupoudrer de sucre vanillé ». Ouf, on se rapproche de notre idée actuelle, mais avec une variante quand même, à savoir que le sucre n’est pas dans la crème fouetté, mais seulement dessus.

Repartons donc du Viandier, publié au 14e siècle : j’ai beau chercher, et je ne trouve pas le mot « Chantilly », même avec des orthographes différentes, avant d’arriver à Carême, qui, en 1815, évoque une « crème à la Chantilly, assaisonnée de vanille et de sucre fin »… mais pas de recette !

Il faut attendre 1856, pour que Louis Bailleux, dans son Pâtissier moderne, nous donne enfin le renseignement :

« Appareil à Crème fouettée (dite Chantilly). Le Pâtissier parisien, plus heureux que ses confrères de province, a l’avantage de trouver cette crême toute apprêtée, à toute heure du jour, et presque toujours de bonne qualité. Plusieurs maisons de crémerie font cette spécialité et réussissent parfaitement à la conserver. A la campagne, c’est bien différent : le pâtissier est obligé de fouetter sa crème, qui se trouve, il est vrai, plus fraîche et meilleure qu’à la ville ; mais la glace en été lui fait souvent défaut.

Chantilly

OPÉRATION.

Prenez de la crême de lait, aussi fraîche que possible; versez-la dans un vase que vous entourez de glace à rafraîchir (ceci sert à frapper (1); lorsque votre vase est bien saisi, bien froid, laissez-la pendant plusieurs minutes, fouettez alors légèrement avec un fouet d’osier ; lorsqu’elle commence à mousser, ralentissez vos coups, afin qu’elle arrive à son degré de fermeté ; faites bien attention de ne pas la fatiguer, elle tournerait au beurre et l’on ne pourrait plus s’en servir comme crème; laissez-la entourée de glace et bien s’égoutter jusqu’à ce qu’elle soit totalement employée.

Cette crême est très usitée en pâtisserie et s’emploie à différentes choses, telles que meringues, bavaroises, chocolat frappé, Saint-Honoré, etc., etc. »

Autrement dit, voici la confirmation que nous attendions, la crème à la Chantilly, c’est simplement de la crème fouettée ! Et elle n’est pas sucrée. Si on la sucre, elle devient de la « crème fouettée sucrée », ou de la « crème Chantilly sucrée ». Quant à la mayonnaise crémée, c’est autre chose… qui ne mérite pas le nom de « Chantilly », et que nous examinerons une autre fois.

Par Hervé This