Pendant neuf mois, en compagnie d’une amie, je parcourais inlassablement les cinq hectares de prés, forêts et friches que mon ami le paysan m’avait gracieusement mis à disposition. Deux fois par jour, il m’apportait le petit lait bio issu de sa fromagerie, dans lequel il faisait tremper du pain rassis. J’adorais les patates cuites, le son de blé et le maïs mais ce que je préférais, c’était soulever la terre avec mon groin pour dévorer les vers de terre, les insectes et les racines.
Dans la forêt, je me délectais de glands, de châtaignes et de faînes. En été, j’ai brouté de tout mon saoul. L’automne dernier, je me suis gavé de pommes, de poires et de quetsches que j’allais chaparder chez le voisin, au grand dam de celui-ci. De temps en temps, je franchissais la clôture électrique, juste pour changer d’air. J’adorais que les gens du village me courent après.
Sur les Hauts de Fréland, ma vie s’écoulait paisiblement, sans stress. L’air était si bon, si pur, si vif. Je gérais ma journée en toute liberté. En fait, je ne pensais qu’à manger puis à me dorer la couenne au soleil. Je faisais mon lard. J’ai pesé fièrement 340 kilos.
Un jour, on m’a apporté de la confiture. Puis un gars que je ne connaissais pas est venu avec une longue canne trouée. Pendant que je me bâfrais, j’ai entendu un bruit assourdissant. Je n’ai pas eu le temps de sursauter. Un éclair fulgurant a jailli dans ma tête. Maintenant, je suis au paradis des cochons.
En ce matin froid de février, le cochon est devenu porc. Respect au Monsieur, roi des animaux domestiques. Des taches rouges maculent la neige blanche. J’éventre l’animal. La tripaille chaude jaillit, fumante dans le froid cinglant. Maintenant je peux enfin souffler un peu, car le seul à ne pas avoir été stressé en ce matin froid de février sur les Hauts de Fréland, c’est bien le cochon lui-même!
Je prépare mon sel parfumé: un kilo de gros sel de Guérande, deux cuillérées à soupe de sucre cassonade, deux poignées de graines de coriandre concassées, 1 cuillerée à soupe de girofle, autant de baies de genièvre. Puis une bonne lichette de schnaps, feuilles de laurier concassées, beaucoup de sariette, thym, romarin et origan sec. Une tête d’ail hachée grossièrement et c’est tout ! Point de E, de sel nitrité, de polyphosphates et autres saloperies (je n’écris pas cochonneries par respect pour les cochons). Mes saucisses sèches se conservent bien, comme mes jambons que je caresse pendant une semaine avec ce sel odorant. Je n’ai nul besoin d’ôter la saumure car la viande est d’une grande qualité: elle n’est pas gorgée d’eau.
Par Daniel Zenner
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