À la veille des 100 ans de la maison, une institution gastronomique change de mains. Dernier service pour la famille Gaertner le 13 juillet 2019, qui a cédé la société « restaurant » à Philippe Peuple.
“On rend les armes le 14 juillet, le jour de la fête nationale”, soupire Simone Gaertner, sous le coup de l’émotion. “C’est une date symbolique que nous avons choisie, mais c’est un “au revoir” et non un adieu, car nous avons prévu de revenir fêter les 100 ans de la maison avant la fin de l’année et de retrouver nos clients”.
La transmission se fait tout en douceur, les plats incontournables et emblématiques du papa resteront à la carte, à l’instar du pâté en croûte maison, le foie gras de canard, le filet de sole aux nouilles ou le gratin de homard “Aux Armes de France » et ses nouilles fines à l’alsaciennes.
“Elles seront le fil conducteur pour le nouveau chef et les clients, car elles incarnent l’âme de la maison”, dit-elle, citant le chef Pascal aux cotés de Philippe Gaertner depuis 36 ans, et Virginie et Éric en salle, depuis 25 et 20 ans respectivement.
“L’amour des gens est la plus belle récompense, il a plus de valeur qu’une étoile Michelin”, atteste le chef, marquant un silence.
“Cuisinier est un beau métier et l’hôtellerie-restauration, une vocation. Nous avons connu quelques moments difficiles, comme la perte de la 2ème étoile en 1990 et la restitution de 1er en 2005. “La gloire ne nourrit pas son monde. Il fallait garder les pieds sur terre. Mais quel beau parcours !”, disent-ils regardant dans le rétroviseur. “Nous sommes fiers du chemin accompli”, reconnaît Simone Gaertner.
De Jean-Marc Kieny, à Joseph Leiser, Jérôme Jaegle, Julien Binz, Thierry Baldinger, Jean-Philippe Guggenbuhl, Christian Meder, Gérard Kuehn, Claude Grohl, Odile Klein, Irène Hildenbrandt, Jean-Michel Eblin, Antoine Thomas, Philippe Knecht, ou encore Matthieu Koenig, ils ont tous contribué à l’histoire et la réussite de la maison.
En 2013, Philippe Gaertner s’était vu récompensé du prix de la transmission lors du Gault Millau Tour Alsace à l’auberge de l’Ill. “Le plus beau prix que je n’ai jamais eu ! ” s’exclame-t-il.
Crée en 1919 par Martin Gaertner, (viticulteur de métier) et sa femme Marguerite Simonis, le restaurant “Aux Armes de France” décroche en 1933 le 1er Macaron Michelin. Leur fils Pierre, élève à l’école hôtelière de Strasbourg, formé à “L’Aubette” de Strasbourg en 1935, puis chez Benoît Perrat à Vonnas, ou chez Fernand Point, à “La Pyramide” à Vienne de 1938 à 1940, suit brillamment le pas. La seconde guerre mondiale et ses bombardements n’épargnèrent pas l’établissement déplacé momentanément et reconstruit en 1947, au 1 Grand’ Rue.
En 1950, Pierre épousa Antoinette Hasselmann, fille de restaurateurs, née à Blaesheim dans le Bas-Rhin. Ils dirigent ensemble les Armes de France et obtiennent en 1953 leur 2ème Étoile au Guide Michelin. Déjà le foie gras, les filets de soles aux nouilles, la salade de homard Fernand Point, la Volaille au vinaigre, les crêpes flambées framboise, font sa renommée.
“Je me souviens Monsieur Paul avait appelé papa”, raconte Philippe. ” Je prends ton fils, mais si c’est un con, je le fous dehors et on reste copains”. Un mois après, il rappelle et dit : “Je le garde, mais je serai dur avec lui, et on reste copains” “.
“La meilleure école c’est celle de la rigueur”, conclut Philippe Gaertner.
En 1978, il poursuivit au Lucas Carton à Paris, pendant que son épouse Simone est embauchée au Sheraton Montparnasse, sous l’ère de Philippe Legendre.
En 2005, leur fille Caroline les avaient rejoints en gestion et comptabilité; une responsabilité qu’elle poursuivra dans un autre établissement.
A 44 ans, le nouveau patron du restaurant (il a racheté les parts de la société Les Armes de France), natif du Nord, est passé chez Samuel Destaing à Vétroz, au Sonne à Bâle, ou encore au Soldat de l’An à Phalsbourg avant de s’établir à Ammerschwihr.
Philippe Peuple prévoit un rafraichissement de la salle du restaurant avant la fin de l’année, tandis que fin septembre les chambres de l’hôtel ferment pour travaux. Un nouveau propriétaire, dont le nom sera révélé ultérieurement, va entreprendre de créer une vingtaine d’appartements-hôtels.
Ainsi les Armes de France perdurent leur vocation de gites et de couverts.
C’est un tournant; la fin de l’ère Gaertner, mais pas de l’institution. Elle a vu de grands noms de l’histoire s’y attabler, de François Mitterrand à Paul Bocuse, Joël Robuchon, Guy Savoy, Alain Dutournier, Alain Passard, la famille Pic, la famille Haeberlin, Monique et Emile Jung et leurs amis les chefs d’Alsace, sans oublier des illustres artistes.
Et elle en verra encore d’autres passer.
Par Sandrine Kauffer-Binz
Crédit photos © Sandrine Kauffer-Binz
Aux Armes de France
1, Grand Rue
68770 Ammerschwihr
Tél : 03 89 47 10 12 –
www.aux-armes-de-france.com/