Parmi les nombreuses façons de lier les sauces, l’usage de farine, de fécule, de végétaux contenant de l’amidon est connu depuis longtemps, en cuisine : dès le 14e siècle, le Viandier décrit des liquides que l’on fait bouillir avec du pain pour obtenir une liaison…mais, en réalité, la connaissance est bien plus ancienne, puisqu’elle date sans doute du Néolithique, quand on a fait chauffer des céréales dans l’eau, procurant des bouillies, par exemple, ou des crêpes quand le liquide s’était évaporé.
Mais en réalité de nombreuses préparations différentes utilisent des roux : cela va du velouté servi en potage à de la crème pâtissière.
Et, ce mois-ci, nous avons donc exploré les roux, en focalisant sur deux citations :
Urbain Dubois, p. 50 de la Cuisine Classique : « Pour obtenir des sauces bien liées, la farine doit être bien cuite. »
La petite cuisine des ménages (anonyme), Emile Guérin ed., Paris (sd, vers 1886), p. 24 : «On obtient une sauce poivrade est en cuisant un roux du vinaigre »… mais ne trouve-t-on pas ailleurs que le vinaigre fluidifiait les sauces liées à la farine ?
1. de comparer le même velouté avec un roux léger ou avec le même roux cuit de façon plus poussée
2. de comparer ces veloutés à celui que l’on obtient si l’on ajoute du vinaigre plutôt que de l’eau.
Nous avons commencé par observer que la profession utilise 60 grammes de roux au litre pour des béchamel un peu épaisses, 80 grammes par litre pour les bouchées à la reine, 100 grammes au litre en charcuterie, et jusqu’à 125 grammes au litre pour de la crème pâtissière. Pour nos expériences, on même autant de beurre de que farine, et nous avons cuit légèrement le roux.
Puis nous l’avons divisé en trois parties égales.
Et nous avons ajouté 450 grammes d’eau dans le premier roux, qui a été cuit jusqu’à épaississement.
Nous avons alors pris le deuxième tiers du roux initial peu cuit, et l’avons cuit jusqu’à obtenir une couleur d’un brun soutenu. Nous avons ajouté la même quantité d’eau que pour le premier roux, et avons cuit jusqu’à épaississement maximal : l’épaississement était bien moindre.
Les conclusions de cette expérience sont nettes : l’épaississement est supérieur quand les grains d’amidon ne sont pas endommagés par la cuisson : ils peuvent gonfler davantage, faire un empois. Pour le comprendre, il faut imaginer que le mélange de farine à de l’eau conduit d’abord à une suspension, dispersion de petits grains secs d’amidon dans le liquide. Le chauffage fait gonfler ces grains (qui absorbent de l’eau), ce qui les conduit à occuper tout le liquide. Chaque grain gonflé étant coincé par les grains gonflés voisins, il ne peut bouger… et comme tous les grains sont ainsi immobilisés, la sauce tout entière ne coule pas : elle est « liée ».
J’invite les professionnels à faire des tests complémentaires et à m’envoyer les résultats à icmg@agroparistech.fr
Par Hervé This