Grenadins de noix de veau poêlés, jus, juste crémé, chanterelles jaunes.

Quelle différence entre une escalope, un grenadin et une noisette ?

Ces billets terminologiques me valent une correspondance serrée, par des cuisiniers souvent hésitants : il est vrai que n’importe qui dit vite n’importe quoi, avec beaucoup d’autorité, à propos de cuisine, à commencer par se référer au Guide culinaire, que l’on devrait pourtant proscrire, tant il a engendré d’erreurs.

Là, je reçois une question : « Quelle est la différence entre un grenadin et une escalope ? ». Et comme mes idées personnelles sur les grenadins étaient mal fixées, je me suis empressé de me lancer dans une recherche historique pour en avoir le coeur net.

Vite, commençons par ce merveilleux trésor de la langue française informatisé, qui nous révèle qu’un grenadin serait une tranche (ronde) de noix de veau braisée, un petit fricandeau. Un fricandeau ? Un morceau de veau (rouelle, noix) piqué de lardons, braisé ou poêlé, servi seul ou avec de l’oseille, des épinards, etc. On voit que je mets un conditionnel : en matière de cuisine, méfions-nous des dictionnaires généralistes.

Et méfions-nous encore davantage de Wikipédia, qui nous dit que le grenadin serait un petit médaillon de filet de veau de 2 cm d’épaisseur et de 6 à 7 cm de diamètre, taillé dans la longe (moitié de l’échine entre le bas de l’épaule et la queue), la noix ou la noix pâtissière. Le grenadin bardé peut être piqué de lard, poêlé, grillé ou braisé.

Cette fois, c’est d’une précision… idiote : le grenadin n’est pas de ce siècle, et jamais auparavant on n’aurait indiqué des dimensions en centimètres !

Dans le Guide culinaire, je trouve l’indication que les grenadins seraient des escalopes de filets de forme bien ovale, piquées aux truffes et pochées au vin blanc, cuisson de poisson et beurre. Pourquoi pas, mais d’où les auteurs de ce livre sortent-ils cette définition ? Décidément, je préfère aller consulter le Dictionnaire universel de cuisine de Joseph Favre, qui est intarissable : j’y trouve d’abord que le mot « grenadin » viendrait du mot grenade, par analogie de forme. Ce serait un petit morceau de viande coupé en escalope et piqué de lard fin, et le grenadin différerait de l’escalope en ce qu’il est piqué, tandis que l’escalope ne l’est pas. Ah, voilà une explication, dont nous avions bien besoin !

On trouve des recettes de grenadins de brochet, de cabillaud, de saumon à la nantuatienne. Souvent, on servait ces grenadins de poisson accompagnés d’une sauce faite de leur jus de cuisson, d’un fumet de poisson, de jus de champignons frais, de jus de citron, d’une béchamel, de beurre, de coulis d’écrevisse, ou encore d’un sauce hollandaise, d’une sauce anchois, d’une sauce génoise brune ou d’une genevoise blanche au vin blanc..

Noisettes de chevreuil, Mousseline de cèleri, sauce aux baies de genièvre de Julien Binz ©Lukam

Pour les grenadins de veau glacés, il s’agit de tailler des grenadins en escalopes dans des filets mignons ou dans une noix de veau ; les piquer, les passer à la poêle avec du beurre frais, sur un feu vif pour les saisir et les dorer vivement. A la suite de quoi on les met dans un sautoir, le côté piqué en haut, avec du bon jus de veau qu’on aura obtenu avec les os et les débris. On fait braiser dans un four chaud en arrosant souvent. Les grenadins cuits, tendres et dans un jus glacé sont alors dressés avec des primeurs ou des purées végétales. Ce qui permettra d’inscrire grenadins de veau glacé à la purée de châtaigne (Cévenole) ; grenadins de veau à la purée de champignons ; grenadins de veau à la macédoine de primeurs (printaniers); grenadins de veau à la purée de choux-fleurs (Dubarry) ; grenadins de veau à la purée de haricots (bretonne) et ainsi de suite.

On fait aussi des grenadins de volaille, de gibier à poils, de bœuf (pour utiliser les têtes et les queues de filet).

Mais, au fait, faut-il suivre Favre, qui a été pris en défaut par le passé ? On peut alors remonter à Menon, en 1755, qui évoquer des grenadins de mouton : « Ayez un gigot mortifié que vous coupez par petits morceaux égaux un peu plus gros que la moitié d’un œuf; parez le dessus, et les piquez de menu lard) ».

Ou, mieux encore, François Massaliot, qui évoque les grenains dès 1705 : « Pour faire une Grenade, il faut avoir une quantité de fricandeaux piquez de petit lard ».

En conclusion, finalement, tout est très clair : 

1. une escalope est une mince tranche de viande ;

2. un grenadin diffère de l’escalope en ce qu’il est piqué, tandis que l’escalope ne l’est pas.

3. le grenadin non bardé, poêlé au beurre, est une « noisette ».

 

Hervé This