Commerces non essentiels et pourtant autorisés à rester ouverts, les pâtissiers-chocolatiers se retrouvent bien dépourvus quand Pâques fut venue. Rien ne sert de courir: il fallait partir à point. Prévoyants, ces professionnels du chocolat ont démarré les moulages dès la nouvelle année commencée. L’annonce du confinement a marqué un arrêt dans leur course folle. En Alsace, ils ont majoritairement fermé en même temps que les restaurants. Mais, la nébuleuse autour du “commerce essentiel”, du “chômage partiel”, l’impact sur le chiffre d’affaires, additionnés à une attente de la clientèle, provoquent des ré-ouvertures massives, la veille de Pâques, pour 90% d’entre eux.
Mais le jeu en valait-il la chandelle ? Comment sécuriser le personnel, la clientèle, et limiter les pertes ? Tels sont les défis relevés par ces artisans, fournisseurs de douceurs chocolatées, véritable anti-dépresseur, essentiel pour notre moral.
Alors CoVid-19 ou non, préservons nos fêtes traditionnelles de Pâques, porteuses de sens et de valeurs familiales. A défaut de pouvoir être réunis, penser à offrir un chocolat de Pâques à votre famille éloignée. Il y a toujours un artisan dans leur secteur, pour leur faire une surprise et le livrer.
Après les commerçants bouchers, les producteurs, c’est au tour des pâtissiers-chocolatiers de témoigner.
A quelques jours de Pâques, en pleine conjoncture coronavirienne, ils sont armés de protocoles de sécurité, innovent dans leur manière de commercer, adaptent leurs offres et leurs heures d’ouvertures. Ils répondent présents au rendez-vous des fêtes de Pâques. Et vous ? Le serez-vous ?
“Quand j’ai annoncé à nos équipes qu’on allait retravailler, elles étaient motivées, il y a un bel état d’esprit. Tout le monde porte un masque, même en tissu, je les ai récupérés hier. En boutique, même les produits “sont confinés”, nous avons tout protégé, la boutique est sécurisée”.
Pâques doit rester une fête pour les enfants
“Notre problématique: c’est la matière première; les œufs, la crème, et le beurre. Elle est disponible, certes, mais comment prévoir la quantité utile pour éviter les pertes ? Nous avons perdu nos repères, dans cette conjoncture il est très difficile d’anticiper et de prévoir. Nous allons travailler comme dans un restaurant, attendre les commandes et produire. “
“Habituellement, nous produisons 80 fraisiers, des tartes et entremets familiaux (8-10 personnes), mais cette année, rien ne sera dans la normalité. Nous allons nous adapter en priorisant les entremets individuels ou seulement pour 4-6 personnes. Le fruit et la glace vont l’emporter car la météo est chaleureuse. Les tortues et autres sujets chocolatés rigolos seront au rendez-vous. Pâques doit rester une fête pour les enfants”.
“Par la suite, nous allons tirer les leçons de cette crise. Qu’est-ce qui est utile pour nos clients: le pain et un service de boulangerie. Alors, faut-il prévoir de les rajouter dans nos prestations ? Car force est de constater qu’il demeure un produit essentiel dans la vie des Français.”
Nous sommes au coeur du Cluster à 3 km des hôpitaux de Mulhouse
“Nous étions sous le choc”, témoignent-ils. “Dès le 17 mars, les deux pâtisseries (Riss et Kieny) de Riedisheim ont fermé. Nous sommes au coeur du Cluster à 3 km des hôpitaux de Mulhouse. Les risques liés au Covid-19 ont été pris très au sérieux par nos équipes et les habitants. Et jusqu’à preuve du contraire les pâtisseries ne sont pas des commerces essentiels, ni de première nécessité. Les règles par rapport au chômage partiel demeurent opaques, même les comptables, n’ont à ce jour, aucune certitude.”
Voir la vidéo de la pâtisserie Kieny sécurisée
“Nous avons scrupuleusement respecté le confinement durant les 15 premiers jours pour soutenir le personnel soignant. Nous avons ré-ouvert le 2 avril avec des infrastructures très sécurisées. Il y a une porte d’entrée et une porte de sortie avec ouverture automatique. Les clients ne touchent absolument rien. Une zone barrière est délimitée pour respecter une distance avec les vitrines et la caisse. Il y a maximum deux clients dans la boutique.
Nos moulages étaient déjà prêts le 14 mars avant l’annonce du confinement. On s’est adapté en réalisant des montages de sujets plus simples en terme de créativité artistiques, mais tout aussi savoureux. Les clients sont très compréhensifs. Il y aura les voitures avec Mr et Mme œuf et les fritures.
“Nous n’avons pas encore de boutique en ligne, mais c’est très clairement à envisager à l’avenir”, conclut-il.
“On s’est très vite adapté. On a cloisonné la boutique”, précise Bastien Dangelser.” Il y a des plexis partout et une seule personne en boutique. Pour la première fois, nous faisons des livraisons, environ 20 à 30 / jour. C’est toute une organisation. Les commandes sont prises et payées par téléphone, puis livrées, ou récupérées en boutique de 10h à 14h. C’est le meilleur compromis que nous avons trouvé pour ré-ouvrir en toute sécurité.”
“A Mulhouse, on remarque une solidarité entre commerçants. Nos produits sont vendus dans la boulangerie Gebele à Mulhouse et nous commandons également chez eux et ceux de notre quartier, pour soutenir l’activité économique. Ensemble, nous essayons tous de limiter la casse”.
“Je sais que nous ne manquerons pas de matières premières car les meuniers ont ordre de la préfecture de produire.”
“Je vais aussi en profiter pour mettre en place la boutique en ligne. Nous avons déjà des clients qui passent commandent la veille et viennent récupérer le lendemain, mais cela se fait par téléphone ou mail. Nous gagnerons du temps et sécuriserons les paiements. ”
“Cette période, est très particulière. J’ai réduit mes effectifs. J’en profite pour leur faire récupérer des heures et des congés. C’est aussi une parenthèse pour ranger, trier, mettre de l’ordre dans son administratif et décompresser. Nous ne sommes ouverts que le matin (7h30-14h00), je profite de mes après-midis.
“Force est d’admettre que la pâtisserie n’est pas une première nécessité, c’est un produit de luxe”, souligne Mathieu Kamm. “Mais en termes de sécurité, j’ai imaginé que les clients le seraient davantage dans notre boutique (2 maximum) que plus nombreux, en grandes surfaces. Depuis samedi, nous avons un site de vente en ligne, qui réduit aussi le flux en boutique. C’est un nouvel outil marketing qui va perdurer.
Avant le confinement, nous avions déjà produits 85% pour Pâques, il faut tenter de vendre nos sujets classiques : les œufs, les poules et les lapins. Pour cette semaine, j’ai eu besoin de renfort et sur la base du volontariat, 3 personnes sont revenues produire avec moi et 4 vendeuses sont en rotation. Nous avons conservé une partie traiteur avec la quiche Lorraine, la quiche aux légumes et le pâté à la viande. Côté viennoiseries, nous privilégions les grandes pièces qui se gardent plus longtemps ; les tresses, les chinois et les brioches. Nous mettons en avant 5 sortes de gâteaux, le Madagascar, l’Edelweiss, la Linzer, le KA°cao et la Tarte au citron.
Ouvrir ou non, il n’y avait pas de bonne ou de mauvaise décision à prendre, car personne ne peut prédire l’avenir. On avance avec prudence.
Avec la pain, la notion de commerce essentiel prend tout son sens
“Au bout de 10 jours de confinement, le maire du village m’avait appelé”, raconte Jean-Luc Klugesherz. “Il faudrait que tu ouvres, nous n’avons plus de pain”. La notion de commerce essentiel a pris tout son sens. La ré-ouverture s’est programmée pour le 28 mars, le temps d’installer des plexis partout et de transformer la boutique “en aquarium”, sourit le chef. “La priorité était de sécuriser les lieux et de rassurer les équipes. On peut le dire, elles étaient inquiètes”.
La santé de nos équipes et de nos clients étaient notre priorité. Nous avions pris la décision de rester fermés pour respecter le confinement. Nous avons beaucoup échangé avec nos confrères et nous relançons partiellement notre activité, en ouvrant les matins de 9h à 12h00. Puis après Pâques, nous referons un point. Mais, en restant fermés, nous faisions le jeu des supermarchés”.
Nous avons un peu réduit notre gamme avec 6 entremets de 4 à 6 personnes ; Forêt-Noire, le fraisier, l’Arlequin, la tarte au citron, le AllNuts et l’Harmonie. Côté chocolat, petits œufs et fruits de mer fourrés praliné, moulages et quelques sujets sont au rendez-vous à l’instar de cet oeuf poudré de scintillant, garni de fritures.
Pâques reste une fête. Il faut se faire plaisir. C’est un rendez-vous avec leurs clients qu’ils ne voulaient pas manquer.
“Une crise c’est parfois une chance de devenir meilleur.”
“Pour l’instant, les commandes sont honorées, nous avons encore de la chance. La clientèle vient chercher les œufs en nougatine, fourrés d’une collection de bonbons au chocolat. Je n’ai pas encore développé la vente en ligne, car nous faisons l’effort de décorer la boutique pour les faire venir chez nous. A Wissembourg, l’interdépendance des professionnels et l’offre qualitative, sont un facteur d’attractivité.
Les pâtisseries ont moins de succès. Il semblerait que les clients aient repris goût à cuisiner chez eux à la maison. Après le dé-confinement, il y aura du changement. Les modes de consommation vont évoluer, positivement j’espère. Ce sera le retour du gâteau le dimanche après le café, en famille. Les contacts avec les clients seront plus personnalisés, approfondis. Nous aurons vécu une guerre sanitaire, partagé des craintes et une angoisse collective. Des sentiments qui renforcent des liens. Une crise, c’est parfois une chance de devenir meilleur. Et nous aurons préservé notre capital le plus important, notre capital santé”.
Par Sandrine Kauffer-Binz