Se plonger dans les livres d’histoire permet de préciser quelques idées reçues. Souvent qualifiée de “crème Chiboust” du nom de son créateur, cette appellation devrait se supplanter à celle de “crème Saint Honoré”.
On m’interroge sur la crème Chiboust… et je vous donne immédiatement le résultat de mon enquête, à savoir une citation du livre de Pierre Lacam, intitulé Le glacier : « Les trois Julien avaient fait leur apprentissage chez M. Méquignon, Faubourg-Saint-Honoré, en face de l’Elysée. La maison n’existe plus. Ce fut monsieur Auguste, le cadet, qui voyagea le plus et qui dirigea tout ; autoritaire, de grand savoir, bon ouvrier, et comme on disait alors, un joli coup de cornet. Il avait rapporté de Toulouse et de Bordeaux cette distinction de pâtes nouvelles, telles que la Génoise battue sur le feu, et le Saint-Honoré, qui se faisait à Bordeaux sous le nom de Flan Suisse ; c’est chez Chiboust, que l’on fit pour la première fois ce gâteau en 1840, et on lui donna le nom de la rue Saint-Honoré.
Pour le gâteau Saint-Honoré , les choses sont claires. Par exemple, dans le livre d’Emile Darenne et Emile Duval, en 1909, il est indiqué qu’il s’agit d’un gâteau qui serait formé en pâte à foncer (pas une pâte feuilletée, donc), avec une couronne de pâte à choux, plus des petits choux glacés. Le fond serait garni d’une crème dite à Saint-Honoré, avec, par-dessus, de la crème à la cuiller.
Quant à la crème à Saint-Honoré, « chacun de nous sait que la crème cuite à Saint-Honoré se compose de lait, farine, sucre et œufs auxquels on ajoute un parfum quelconque, le plus fréquemment de la vanille ». Dans cette recette, les blancs seraient battus en neige, ce qui poserait des problèmes d’hygiène.
Bref, une crème anglaise avec un appareil de blancs battus et sucrés. Et la gélatine ? « Certains praticiens ajoutent, avec raison, de la gélatine, afin de pouvoir conserver les gâteaux pour la vente au magasin ; dans ce cas, ajouter à la crème, avant son mélange aux blancs, 6 à 8 feuilles de gélatine, mise à l’avance à tremper dans l’eau froide ; puis pressée dans la main pour exprimer l’eau.
Ce qui est dit ici est-il juste ? Pour Joseph Favre, quelques années plus tôt, le gâteau Saint-Honoré était un gâteau conçu avec de la pâte à brioches sur un disque de pâte à foncer sucrée ; puis on aurait remplacé les petites brioches qui l’ornaient par des petits choux, et ensuite, la croûte, par de la pâte à choux. Le milieu aurait été garni de crème Chantilly, aromatisée à la fraise, à la violette, à la rose, à la framboise, à la vanille, etc. « Mais comme à Paris il y avait de la difficulté à obtenir de la bonne crème, surtout en été, les pâtissiers commencèrent par y substituer la moitié de blancs d’oeufs, pour la maintenir plus ferme. Enfin, ils supprimèrent complètement la crème et la remplacèrent par un appareil bavarois, allégé par des blancs d’oeufs, qui permirent de donner la résistance désirée.
Allons, remontons encore quelques années, avec Urbain Dubois, qui était un élève de Marie-Antoine Carême. En 1898, il propose une pâte à foncer fine, coupée ronde, étalée sur une tourtière, avec une couronne en pâte à choux. Plus, après cuisson, de petits choux ronds trempés dans du sucre au cassé, le creux du gâteau étant de crème Saint-Honoré, collée, remplacée en hiver par de la chantilly bien égouttée.
Mais on comprend que rien ne vaut le document de Pierre Lacam lui-même. Il indique que « le Saint-Honoré se fait de bien des manières. La plus usitée, c’est de faire un fond en pâte à foncer, d’y coucher un cordon en pâte à choux autour et de tous petits choux que l’on cuit à part. Une fois cuits, on glace les petits choux, que l’on colle à distance et une cerise glacée entre ». Il est garni d’une « Crème à Saint-Honoré », ou bien une « Crème à Charlotte ». La « crème à Saint-Honoré, pour lui, est la même que celle à choux exactement, seulement on prend les 16 blancs que l’on mêle avec. Et pour la crème à choux : 500 grammes de sucre et 16 jaunes d’œufs dans une casserole avec 60 grammes de farine ; après avoir fait le ruban, on y met un litre et demi de lait, deux gousses de vanille et on porte à ébullition. On la sort au moment de bouillir. C’est d’ailleurs la même recette que celle de Jules Gouffé, en 1873.
La conclusion est claire : seule une histoire de la cuisine qui se fonde sur des textes fiables permet de savoir de quoi l’on parle. Et la terminologie de crème Chiboust n’a pas de raison d’être utilisée, puisqu’elle ne désigne qu’une préparation déjà connue. Une fois de plus, le Guide culinaire est un mauvais guide, et l’on aura intérêt à parler de crème Saint-Honoré.
Par Hervé This