la salle du restaurant la Palette à Wettolsheim ©LaPalette

Menu du jour à La Palette

Chaque année, suite aux bonnes résolutions de l’an neuf, je me mets habituellement au régime. Un mois au pain sec et à l’eau. Un régime de prisonnier volontaire, adepte de la secte du bien-manger, conscient du risque induit par la consommation des graisses insaturées, des goûteux beurres et fromages de la ferme d’en bas, des merveilleuses saucisses, qui dorent chaque année dans mon fumoir, des rillettes en pots et du presskopf qui sommeillent dans le cellier. Mais cette année, en ce début de mois, que nenni !

Mon programme était chargé. J’ai déjeuné ou dîné, attablé dans quelques bons restaurants, j’ai honoré quelques rendez-vous devant des assiettes de foie gras poêlé, d’autres de bar de ligne juste saisi, de coquilles Saint-Jacques sur purée de topinambour aux truffes, de carré d’agneau vert-pré. Mes cochonnailles battent leur plein et je découpe une génisse limousine bio maturée deux semaines vendredi prochain; tous ces petits événements gourmands bien arrosés.

Plus simplement, la semaine dernière, j’ai déjeuner chez Henri Gagneux, d’un menu du jour. Menu du “jouir” aurais-je dû écrire, car l’homme-cuisinier, est un génie des casseroles et un créateur infatigable. Il est installé à Wettolsheim, dans le lieu même ou officiait le “Père Floranc.” Henri est un artiste culinaire, et je pèse mes mots. En ce jour de mi-janvier, je ne disposait que de 75 minutes pour déjeuner, discuter et parler projet. Je me suis rangé à l’avis du serveur (pardon, on dit ” Chef de rang” aujourd’hui) pour accepter un menu du jour qui, à priori ne me disait rien qui vaille. Jugez: “Terrine de volaille”, “Filet mignon de porc, pommes sautées” et “Tiramisu” en dessert. A l’annonce du menu, je suis réticent. Je vois passer rapidement dans mon cerveau, comme des cartes postales jaunies, des assiettes de terrines de volailles-crudités, dévorées par faim et besoin, entre deux rendez-vous: une tranche cuite d’un haché de viandes roses mixées, dures, insipides et reposant sur un lit de carottes et céleri rémoulade de la veille, abrités par une feuille de salade racornie. Habituellement, “pour faire gastro”, une rondelle de concombre historié, un quartier de tomates (même en plein mois de janvier) et un cornichon “en éventail” donne à l’assiette un petit air de fête-pas-comme-à-la-maison. La signature du chef en quelque sorte.

Henri Gagneux, chef du restaurant a Palette à Wettolsheim ©B. Selke

Puis, en un instant, et suite aux mets évoqués dans ce menu par le serveur, je tombe en arrêt sur le “filet mignon de porc et pommes sautées”, plat dégusté en décembre dans un restaurant, au cœur de la bonne ville de Colmar. Ce jour-là, j’ai mangé sans plaisir. Le mignon de porc, laid et plat était bouilli car non saisi. Il baignait dans une sauce translucide, vaguement brunâtre, juste avec le goût des préparations lyophilisées qui puent le glutamate de sodium. Les pommes sautées n’étaient pas sautées, peut-être juste installées encore surgelées, par le “cuisinier” dans un four à micro-ondes avec fortes rasades d’huile de tournesol bon marché. Pauvres pommes de terre: cultivées à grands renforts de produits phytosanitaires, arrosées en fin de vie d’un défolient pour sécher les feuilles puis d’un anti-germinatif, ensuite épluchées mécaniquement, triturées, émincées, sur-lavées puis séchées, blanchies, surgelées et enfin mises sous plastique. Puis balancées au micro-ondes par un “technicien-cuisinier” lors du “service”.

Quand au Tiramisu, je ne veux plus en entendre parler. J’ai vécu trop d’expériences gustatives, amères et indigestes, dans des pizzérias, bistrots, cantines et restoroutes. Toujours des souvenirs…De tiramisus achetés tout fait dans les supermarchés de la gamme restauration, ça me gave, ça m’indigeste. Et puis il y a les amis qui veulent faire plaisir. Le tiramisu fait parti de la liste des desserts internationaux, ceux que tout le monde propose en toute occasion. Le tiramisu est un dessert qui aujourd’hui, tel le hamburger, le couscous ou la pizza s’est internationalisé et les industriels de la malbouffe l’on bien compris. Pitié, plus de tiramisu! Plus de ces masses molles puant l’Amaretto…

Mais, en ce mercredi de janvier, j’étais chez Henri Gagneux, dans son restaurant “La Palette”. Voilà plus de quinze années que je le connaîs. Déjà, en 2002, nous organisions des menus autour de la bière, d’autres pour fêter l’arrivée du Saint-Nicolas ou la sortie de l’hiver. Rien n’arrête Henri. Alors j’ai pris avec Jimmy le menu du jour.

La terrine de volaille: une œuvre d’art ! De la chair de chapon juste cuite, jouant à farce-attrape avec forces pistaches, armagnac, fine farce et médaillon de vrai foie gras. Le tout ceint d’une barde de lard, blanche et épaisse, grasse et onctueuse, parfumée, grande gardienne du moelleux de l’œuvre. La tranche fleurant la belle volaille reposait sur un lit de feuilles de végétaux de saison assaisonné d’huiles nobles.

Le mignon maintenant

Voici que ce muscle tendre, rare et onéreux arrive, posé sur assiette. Rôti s’il vous plait et sur les deux faces ! Epais d’au moins six centimètres, taillés dans le cœur du filet fainéant, dans toute sa splendeur. Trois tronçons de cette noble viande trônent dans mon assiette, grillés, juteux, rosés à cœur, dressés comme un monolithe surréaliste. La chair est tendre, suave, cernée par une sauce exceptionnelle. Et quand j’écris “exceptionnelle”, je mesure et pèse mes mots car celle-ci devait être réalisée avec une base de sacrés bons os, conduite comme il faut, une sauce réduite, succulente (Le mots vient des sucs), avec ce petit côté “collagène et concentration” que j’ai retrouvé dernièrement dans des sauces appréciées sur un pigeon “Au rendez-vous de Chasse” à Colmar (sauce Albuféra) ou à “L’Atelier du Peintre” toujours à Colmar, sur un lièvre, farce et filet saignant “façon royal”. Dans les deux cas, ce fût un énorme, un magnifique, un sublime plaisir, un orgasme au niveau de mes papilles gustatives!
Le pigeon, sauce Albuféra ©JulienBinz
Mais, ces trois blocs de filet mignon de porc cuit dans les règles de l’art, fiers comme le Mont Saint-Michel ceint par l’océan, n’arrivèrent pas seuls. Des pommes sautées, disposées dans un ravier blanc, complétaient l’assiette. Oui, des patates grillées, non épluchées, taillées en gros quartiers, bien dorées, nourries d’une bonne graisse, fleurant simplement et délicatement l’ail. De simples patates, un des légumes les plus divins que l’espèce humaine cultive depuis plus de trois milles ans dans les Andes Péruviennes. Mais la patate par Henri, c’est tout un poème: des rattes bios avec la peau, torturées dans de la bonne graisse. Les patates colorent, chantent. Dans un suintement sonore, tel une soupape gémissante d’une cocotte minute en fin de vie, la patate en sa peau, par petits geysers vaporeux, cuite en sa masse. Elle fond, agonise, se réincarnant au moment, cristallisant à l’extérieur. Non de nom, tes patates Henri ! Merci, merci pour cette sauce, cette viande, ces patates et l’art qui t’habite. Je me rappelle d’ailleurs d’une “torche aux pommes de terre” dégustée chez toi lorsque tu étais encore à Neuf-Brisach.

Puis vint le tiramisu

Habituellement, je ne prends pas de dessert. Le diabète me guette… Mais j’étais chez Henri Gagneux et grâce à lui, j’ai redécouvert cette douceur Italienne. Que c’était beau… Déjà, quand l’assiette est arrivée, c’était tout un spectacle…
Une assiette blanche est déposée devant nous. Le verre montre par transparence les divers états de la matière comestible: une fine couche de poudre de cacao, de la mousse, du biscuit, puis quelques couches aléatoires de matières non-identifiées mais extrêmement goûteuses, en état intermédiaire entre la rigidité et l’onctuosité. Au fond du verre, des fruits confits macérés apportent le croquant du plus merveilleux tiramisu que j’ai jamais dégusté de ma vie!

Un simple menu du jour, conduit et proposé dans les règles de l’art. Voilà un déjeuner comme on aimerait plus souvent en découvrir dans nos restaurants. Qui soigne son petit menu du jour soigne aussi les grands festins!

Mais les industriels de la malbouffe sont aux aguets. Ils guettent et harcèlent sans relâche celui qui est chargé de vous restaurer. Les distributeurs de la malbouffe sont puissants, dirigent le monde. Choisissez vos restaurants.
Ce menu du jour, Henri, fût pour moi, un grand repas. Merci. Et si une grande table devait aujourd’hui être jugée pour son son rapport qualité-prix, je t’octroierais bien modestement et sur le champ, les plus belles étoiles que compte notre voie lactée.

Ah j’oubliais, le prix de ce menu? 14.90 € TTC. Qu’on se le dise!

Par Daniel Zenner