MasterChef, Un dîner presque parfait and Cie…

“La cuisine, plus que jamais, a le vent en poupe. Les cuisiniers sont enfin sortis de leurs antres, autrefois installés dans les caves sombres ou les sous-sols croupis. Ils ont enfin osé écrire, réaliser des émissions radios ou télévisées, se montrer en plein jour aux côtés des plus puissants du monde. Certains sont à la tête de véritables multinationales.

De Raymond Oliver en passant par Maité et Jamie Oliver, Paul Bocuse, Joël Robuchon, Marc Veyrat et bien d’autres, ils communiquent aujourd’hui sur leur passion : la cuisine ! Les stars s’y mettent aussi. Depardieu et les autres ont écrit des livres de recettes : le sujet plait et est compris de la majorité des lecteurs. Les éditeurs ne prennent plus de risque à publier aujourd’hui le livre de cuisine d’un inconnu – même compétent- car ils sont aujourd’hui submergés par les demandes, chacun veut faire son livre et il y a à boire et à manger !

Depuis une trentaine d’années, le métier de cuisinier a bien changé. Ce ne sont plus que les cancres qui entrent en apprentissage “tu auras toujours un lit et une assiette pleine… ” Vétéran au collège (j’ai redoublé la 5ème et la 4ème) la conseillère d’orientation ne m’a pas laissé le choix : la voie vers le métier de cuisinier était tracée. Fort de deux années passées à servir mes patrons 14 heures par jour, à produire frites molles et à être corvéable à merci, j’ai “appris le métier et suis devenu un homme… “. Mes négriers payent aujourd’hui le prix de leurs actions, et à cause d’eux, le métier a une mauvaise réputation ; les jeunes préfèrent s’engager dans d’autres filières moins contraignantes.

Mais les temps ont bien changé. Les conditions de travail ont considérablement évolué. Les horaires, les lieux et outils de travail sont propres, spacieux, presque confortables. Les techniques et matériaux ont fait un bond en avant. Des cohortes de produits arrivent fraiches, il n’y a que l’embarras du choix sur les marchés. De métier ingrat et de labeur, le cuisinier est devenu artiste, jouant de rhétorique gastronomique et de ses couteaux céramiques dernière mode sur les plateaux télés.

Oui, la bise souffle bien dans les tabliers de cuisine des “stars culinaires”.

Les grandes chaînes privées se disputent aujourd’hui des émissions grand public, grand budget pour porter aux nues des amateurs de cuisine. Sous les feux de la rampe, les candidats tombent dans les abîmes salés des éliminatoires ou escaladent les montagnes sacrées et sucrées des premières places.

Les grandes chaines de télévision publiques ne vivent pas de culture. Il faut de l’extrême, de l’action, du sentiment, de la violence, du sexe, du rêve américain. Les candidats des émissions gastronomiques sont aussi choisis en fonction de leurs beaux minois : ils représentent aussi celui qu’on pourrait être. Certains producteurs montent des candidats au sommet d’une grue pour réaliser un carpaccio, ou sauter des crêpes dans une nacelle de ballon à air chaud : il faut du sensationnel, des déchirures et des coups de gueule : faire craquer des candidats pour passer sur l’écran la détresse du cuisinier en herbe qui, effondré et pleurnichant, se jure qu’on ne l’y prendra plus.

Les meilleurs – entendez les plus performants pour ce que la télé leur demande- se retrouvent propulsés en quelques semaines au sommet de la gloire, pris en flagrant délire de « starisation », phénomène social cautionné par les plus grands chefs. Jusque là, tout va bien, chacun est à sa place, fait son p’tit business. Les participants sont sous contrat de confidentialité et les émissions se succèdent.
On mouline à tour de bras, on déstructure les plats et les candidats, on vend à vidéo gag les plus belles recettes, et on oublie les milliers d’heures de rush tournés, car aucune scène ou image, n’est choisie par hasard.

Fort de leur succès médiatique, nos amateurs entament des tournées nationales, écrivent des livres de recettes, ouvrent des ateliers de cuisine à Paris, deviennent chef de cuisine à domicile, formateur et consultant culinaire en Arabie Saoudite ou à Java.

Je fréquente dans mon métier ces stars d’un jour. Certains sont attachants, gardent les pieds sur terre. D’autres, tel le poisson-lune se gonflent la tête : la mégalomanie n’est pas loin. Ils abandonnent pour la plupart leur ancien gagne-pain, devenu obsolète. Grâce au concours, ils sont persuadés de maitriser toutes les facettes du métier de cuisinier. Pourtant, très peu ouvrent un restaurant, car ça, c’est un autre métier !

Je ne peux ici vous raconter ce que je vois depuis plusieurs années sur les espaces de démonstrations culinaires, pardon les “Cook show” pour les branchés. Je me suis enfui un jour de mon poste d’animateur quand j’ai vu un gagnant offrir à son public de jeunes filles hystériques, un foie gras fondu sur une purée de banane oxydée. J’ai vu un lauréat vouloir réaliser en 40 minutes un Saint Honoré. Attention, le vrai ! Celui avec les p’tits choux “fait maison” devant le public, farci avec une crème pâtissière parfumée à la-plus-belle-des-meilleures-vanilles-du-monde ! Et que je te fasse un cour magistral sur le fraisage d’une pâte brisée ! Et qu’au lieu de démarrer la pâte à choux (ratée après le temps imparti) je discute et je pavane… J’attends toujours le Saint Honoré.

Un autre amateur qui a affirmé au micro “que le métier de cuisinier est un métier de fainéant car c’est le produit qui fait tout ! “. Viens donc au service, mon gars, juste une journée par un jour de grande affluence ! Tu verras qu’il faut retrousser ses manches, ne compter ni son temps, ni son courage et qu’il faut une somme importante de connaissance, de dextérité et de sensibilité pour porter le titre de cuisinier. Je te rappelle, ami amateur, que tu as mis 12 minutes à réaliser ton assiette. Elle était belle, mais le client l’aurait mangée froide. De toute façon, la serveuse n’aurait jamais pu transporter ton œuvre car elle défiait toutes les lois de l’apesanteur…

Souvent, sur certains plateaux, les assistants délégués comme commis, courent dans tous les sens à la recherche de l’instrument ou des ingrédients oubliés. Quelquefois, ces derniers, souvent élèves de lycées hôteliers, sauvent la mise au cuisinier amateur paniqué, car ces derniers n’ont pas appris l’organisation, tant dans le déroulement de la recette que sur l’espace de travail.

Je passe outre les connaissances techniques inhérentes au métier de cuisinier, qu’on ne peut acquérir – comme la rédaction d’un livre de recette -d’un clic sur Internet.

Sur ces espaces de démonstrations culinaires, le public s’en fout de la recette. On ne parle pas cuisine. Les gens veulent approcher celui ou celle qu’ils ont invité dans leur salon via le petit écran, et vu gravir en souffrant, les échelons du succès. La personne “vue à la télé” fait partie de la famille et la recette présentée n’est en fait pas celle de la tarte aux pommes mais celle de la réussite médiatique. L’important, c’est d’être sur la photo.

Joël, Philippe, Sylvie, Jean-Christophe, Jean-Yves, Emile, Hubert, Jean-Georges, Christophe, Olivier, Clément, Pascal, Géraldine, Michel, Isabelle et tous les autres, mes amis cuisiniers, je pense à vous. Grâce à Comus, Dieu de la cuisine ! Venez à mon secours ! Ne me laissez plus seul sur un plateau avec les stars d’un jour ! Je vous mets au défi de réaliser en 40 minutes le plus beau Saint Honoré de votre carrière ! Et vous allez y arrivez, bougres de cuisiniers !

J’arrête là mes médisances. J’ai rencontré dernièrement, toujours sur des espaces d’animation des “Masters Chefs” intéressants et passionnés. Certains étaient dépassés par l’agitation médiatique autour de leur nouvelle situation.

D’autres, heureux candidats des années passées, assumaient pleinement leur prestation : la pression était retombée depuis longtemps et la réalité a repris le dessus. Avec eux, je peux parler cuisine. Certains n’ont rien à envier à de bons professionnels.

Des concours de cuisine abondent dans chaque région, bravo ! On parle vraiment cuisine car ceux-ci n’ont pas les mêmes enjeux que les grands frères de TF1 ou M6. J’ai même rencontré des amateurs qui se professionnalisent pour rafler les concours…

Alors, ces émissions servent-elles la gastronomie et les métiers satellites ?

J’ai posé la question à un certains nombres de professionnels. Ceux-ci sont unanimes : l’agitation médiatique sert la profession car on en parle. La cuisine est devenue un jeu, un divertissement, un plaisir tendance. Les boutiques spécialisées fleurissent et il est de bon ton de parler chou vert et bavette d’aloyau en société.

Sur le marché du travail, ces dernières années ont connu un regain d’intérêt pour les métiers de bouche. Tant mieux, les apprentis se pressent à nouveau au portillon, même si la réalité n’est pas la même qu’à la télé ! Les épiceries fines renaissent, le retour aux bons produits et à l’économie locale est une réalité. Les consommateurs citadins se plaisent à rêver au souvenir d’une ruralité perdue : les marchés de producteurs s’installent au centre des grandes villes.

On parle de gastronomie, on a envie de passer un moment inoubliable dans une grande maison. La haute cuisine est peut être en train de se démocratiser !”

Par Daniel Zenner