Maison Ferber, 60 ans de savoir-faire à Niedermorschwihr

Fondée il y a plus de 60 ans, le savoir-faire de la la famille Ferber s’est construit une réputation internationale. Christine Ferber, surnommée la « fée des confitures » est en quelque sorte aujourd’hui « l’égérie » de la maison, véritable star au Japon, où depuis 20 ans, elle est l’invitée d’honneur sur le salon du chocolat. Mais la Maison Ferber, c’est avant tout une histoire de famille solidaire, aux compétences complémentaires qui conjuguent depuis 1980, 7 activités : boulangerie, pâtisserie, confiserie, chocolaterie, glacerie, épicerie et traiteur. En 2015, un nouveau laboratoire de 1300 m2 a été inauguré à l’entrée du village, faisant évoluer tout en douceur la Maison Ferber dans le 21ème siècle.

Du kougelhopf aux confitures

C’est à Niedermorschwihr, village situé sur la route des vins d’Alsace qui « monte » vers Trois-Épis, que se situe la boutique et les ateliers de production. Mais ô comble de la discrétion, il n’est pas fait mention de leur nom sur aucune enseigne, préservant l’authenticité et la modestie des lieux.

Préparation des 60 ans de la Maison en 2019 ©S. Kauffer-Binz

Marguerite et Maurice Ferber, les parents de Christine, Elisabeth (Betty) et Bruno avaient repris la boulangerie-pâtisserie « Au Relais des Trois Épis » en 1959.

Mais, ce qui surprend fondamentalement, c’est cette boutique, aux charmes d’antan, qui semble figée dans les années 1980, proposant du fromage, de la presse, des livres, des ustensiles de pâtisserie et des souvenirs d’Alsace. Seul commerce du village, il préserve le lien social et la solidarité villageoise et intergénérationnelle.

Idéalement placée près de l’église, la maison se forge rapidement une réputation pour la qualité de ses pains, et la création du kougelhopf glacé en 1963. D’aussi loin qu’elles s’en souviennent, les sœurs Betty et Christine ont toujours aidé leurs parents, Betty en boutique et Christine, aux arrières en pâtisserie, « Elle ne souriait pas beaucoup », murmure-t-on.

Les deux sœurs étaient extrêmement brillantes à l’école. Betty est diplômée de l’école hôtelière de Besançon et Christine fut envoyée dans une école des « métiers de bouche » à Bruxelles, car aucune formation boulangerie-pâtisserie n’acceptait les filles. Avec un CAP, un brevet de maîtrise et la coupe de France des jeunes pâtissiers en poche, Christine décroche son ticket d’entrée chez le célèbre pâtissier Lucien Peltier à Paris, faisant le plein de nouveautés. En 1978, elle doit déjà rentrer. Elle, qui rêvait de voyager, accuse un destin contrarié, avant de connaître le succès avec ses recettes confiturières.

Bruno et Anne-Catherine Ferber sur la terrasse du nouveau laboratoire – ©S. Kauffer-Binz

Les souvenirs de famille évoquent la dureté de l’apprentissage familial. « Son père n’était pas tendre avec elle, refusant de lui transmettre les recettes », explique Anne-Catherine Ferber, l’épouse de Bruno. « Il soutenait que la réussite ne dépendait pas des ingrédients, mais de la capacité à maîtriser la matière, humer l’air, les hautes et basses pressions, la bonne mesure de la levure. Christine a été pugnace pour mettre au point les recettes. Et pendant que son père développait le service traiteur, elle innovait avec les glaces, les chocolats, les pâtisseries fraîches aux fruits, puis les confitures ».

Le sacre de la fée des Confitures

La « légende » raconte que très vite les grands noms de la profession ont plongé leur cuillère dans ses pots de confitures pour en extraire la puissance aromatique des fruits et cette texture qui n’a pas son pareil. Louanges, invitations sur les plateaux TV, publications de livres de recettes, la presse s’emballe, Christine est sur le devant de la scène, plébiscitée à l’international, élevée au rang de star au Japon.

La confiture aux rhubarbes d’Alsace ©S. Kauffer-Binz

Les confitures, joliment régressives sont une invitation à plonger dans notre enfance. Christine élabore des recettes traditionnelles et d’autres plus innovantes. Églantine, coing, sureau noir d’Alsace ou rhubarbe associée tantôt à la vanille ou au citron de Sicile. La pêche blanche de la Drôme, banane et cassis, framboise et violette, tomate rouge d’Alsace variété cœur de bœuf en passant par la célèbre vieux garçons (myrtille des bois et framboise d’Alsace au Kirsch) sont un panel parmi 1400 références, catégorisée en gelée, marmelade, confiture fine ou extra avec morceaux. Chouchoutés, choyés, sélectionnés avec soin, lavés, épluchés, manipulés avec précaution les fruits et les fleurs sont traités avec délicatesse. Les cerises, par exemple, sont dénoyautées à la main, roulées entre deux doigts. Aucune lame de couteau ne vient agresser le fruit, plongé ensuite dans une petite bassine en cuivre, pour cuire tout doucement. Sa carte des confitures est impressionnante, composée avec 80% de fruits d’Alsace.

Christine remplit personnellement chaque pot. Il faut environ 4 heures et 4 kg de fruits pour réaliser 20 pots de confitures. Loin de l’industrialisation de la production, le travail artisanal et de qualité prend tout son sens « Je ne peux pas mettre mon nom sur un produit que je n’ai pas réalisé moi-même », justifie-t-elle. Ses célèbres confitures voyagent dans le monde entier. Alain Ducasse, Pierre Hermé, Hélène Darroze ou Olivier Nasti en commandent pour leurs établissements.

Des Japonais ont fait le voyage pour les 60 ans de la Maison Ferber en 2019 – ©S. Kauffer-Binz

Le duo Anne-Catherine et Bruno Ferber

Après le duo Marguerite et Maurice, puis celui de Betty et Christine dans les années 2000, celui d’Anne-Catherine et Bruno impulse une nouvelle dynamique, lui dans le développement de la partie traiteur, événementiel et conserverie, elle dans la gestion, la commercialisation et le juridique.

En 1999, Bruno succède à son père au service traiteur. « C’est le seul qui a pu choisir son métier », explique son épouse Anne-Catherine. « Christine, sa grande sœur y a veillé. Telle une seconde mère, elle lui faisait réviser ses leçons, à côté du marbre ». Après un Bac C, Bruno Ferber, décroche sa maîtrise en Hôtellerie-Restauration à l’école de Lausanne (1990-1994). Il se souvient avec émotion de son stage chez Pierre Portier à Laval (MOF) et au Crocodile avec Émile Jung. Des expériences aux Maldives, St-Moritz et Lugano leconduisent en 1995 au poste de sous-directeur dans un hôtel 4* en Suisse. En 1999, Bruno lie sa vie personnelle puis professionnelle à Anne-Catherine, et après la direction d’hôtels, renoue avec ses premiers amours, la cuisine.

La transition avec son père est une réussite et Christine est aux anges, la famille autour d’elle s’agrandit. « A mon arrivée, j’ai très vite organisé les portes-ouvertes », explique Bruno Ferber. « Ces rendez-vous sont festifs, avec visites de nos ateliers, dégustations, ventes caritatives au profit d’associations et de belles rencontres humaines ».

Bruno et Anne-Catherine Ferber dans les cuisines ©S. Kauffer-Binz

« Nos propositions traiteurs sont sur-mesure, en fonction des envies et de la saison. Il y a bien sûr des incontournables comme le saumon soufflé, le sandre sur choucroute ou encore le mythique jambon en croûte de 6h, poissons, viandes et gibiers cuisinés, des spécialités du terroir, des vastes buffets avec des pièces montées, d’innombrables variétés de pièces cocktails, des gâteaux, des tartes et autres entremets. Il y a un millier de possibilités de satisfaire son palais, avec en prime la présence de Bruno Ferber. « À part le café et le fromage tout est fait maison », mentionne le cuisinier membre des Etoiles d’Alsace. « Nous sommes tournés vers la qualité gastronomique en adéquation avec l’excellence du travail de Christine ».

Flash-Black

Petit flash-back : en 1994, l’adolescente de 15 ans, en stage chez Christine, croise Bruno et tombe amoureuse. De 7 ans son aîné, Bruno ne l’a pas remarquée, jusqu’à son retour dans l’entreprise (en 1998) où elle venait régulièrement livrer des fruits. « Ma grand-mère avait un verger et j’apportais dès que je pouvais des nèfles, des poires et des pommes à Christine », se souvient Anne-Catherine. « J’avais la culture des bons produits, du beau et du bon. Tout mon parcours scolaire, je l’ai pensé en fonction de mon admission à Lausanne », précise celle qui est diplômée en analyse financière hôtelière, spécialisée dans les « supports organisationnels ». « Je revenais aussi souvent que je le pouvais « Au relais des Trois Épis». Christine m’emmenait avec elle sur le marché, ramasser des pommes sauvages ou cueillir des roses ».

Très attachée aux valeurs du terroir, de la transmission et du patrimoine, elle se plaît beaucoup dans ses nouvelles responsabilités à l’Écomusée d’Alsace, à Ungersheim (2001 à 2006), avant de rejoindre la Maison Ferber, appelée en renfort pour soulager le travail de Betty. Un poste est créé pour elle, conjuguant le commercial, la communication, l’administratif et le juridique. Dynamique, pétillante, alerte dans la réactivité, elle résume : « Nous travaillons en complémentarité, Christine et Bruno sont en visibilité médiatique, tandis qu’avec Betty et tante Nicole (la sœur de Marguerite), nous sommes dans l’opérationnel et le back-office ».

Le nouveau laboratoire

Le nouveau laboratoire ©S. Kauffer-Binz

En 2015, l’entreprise Ferber est à un tournant de son histoire, agrandissant et externalisant pour la première fois sa production, seulement à quelques mètres de la boutique historique, il est hors de question de quitter le village natal de Niedermorschwihr. « Il ne s’agit pas de développer la quantité, mais la qualité de production et l’organisation, notamment dans la gestion, le stockage, la traçabilité et les expéditions », explique Anne-Catherine. Ce nouveau bâtiment, appelé l’atelier, situé à l’entrée du village, aussi élégant soit-il, déployé sur ses 1300 m2, pourrait échapper à votre regard. Élancé, tourné vers la nature et les vignes avec ses grandes baies vitrées, il a été construit dans une démarche environnementale et respectueuse des nuisances sonores. Ainsi, le traiteur et l’administratif s’y installent les premiers, en 2015, puis la chocolaterie l’été 2016, et la confiserie en juin 2017.

La nouvelle conserverie

Le boudin noir à tartiner de la maison Ferber ©S. Kauffer-Binz

En 2016, Bruno Ferber développe une gamme de conserverie salée. Ainsi, boudin noir à tartiner, rillettes de porc ou de canard sont expédiés dans le monde entier et bien sûr en vente dans la boutique « Au Relais des Trois Épis ». Pour cela, il a pris soin de se former à Amiens, pour maîtriser « l’alchimie » des éléments inhérents aux normes drastiques d’hygiène et de sécurité alimentaires. Les étiquettes sont magiques, vous reconnaîtrez la signature d’un grand artiste alsacien, Raymond Waydelich. La thématique « les cochons de Bruno », s’habille de rouge et de noir, avec des portraits animaliers irisés. Ces conserves, alter ego, des pots de confitures, pourraient très vite connaître le même succès.

Par Sandrine Kauffer-Binz

https://www.christineferber.com

Dans le nouveau labo avec Lutz Fischer son chef de cuisine (à gauche) et Romain Drogerys – ©S.Kauffer-Binz
Bruno Ferber et Raymond Waydelich – ©S.Kauffer-Binz