Je n’ai fait que les évoquer rapidement ici, mais il faut peut-être expliquer mieux. Disons d’abord qu’il s’agit d’une de mes inventions, comme j’en fais une par mois depuis plus de vingt ans : je les donne en priorité à mon ami Pierre Gagnaire, mais dès qu’il en a fait une recette, en premier, il met sa recette en ligne, à la disposition de tous.
Reste que, puisque les inventions sont miennes, je peux leur donner le nom que je veux, et le nom que je donne est souvent celui d’un chimiste du passé que j’honore ainsi. En l’occurrence, Joseph Priestley était un extraordinaire personnage qui vivait au 18e siècle, qui fut à la fois théologien et chimiste. Il découvrit nombre de gaz, tel le dioxyde de carbone, mais aussi l’oxygène, qu’il ne reconnut pas comme un élément, ce que fit plutôt le chimiste français Antoine Laurent de Lavoisier, le père de la chimie moderne, qui fut guillotiné par des imbéciles lors de la Révolution française.
Mais revenons à l’invention elle-même : tout est parti de mon analyse de la crème anglaise, qui n’est pas une « émulsion », contrairement à ce que certains disent ou -pire ! – enseignent. Non, la crème anglaise est une « suspension » : comme d’autres préparations, elle doit sa consistance à la présence de nombreux petits agrégats d’œuf coagulé. Oui, en quelque sorte, une crème anglaise réussie « macroscopiquement », c’est-à-dire à l’œil nu, est ratée, grumelée à l’échelle microscopique !
Donc, pour faire une crème anglaise, il faut de l’œuf et un liquide, et tout cela est cuit, tout en travaillant, afin de ne pas obtenir un flan mais une sauce épaissie. De l’œuf ? C’est de l’eau, des protéines, de la matière grasse. Et ce sont les protéines qui sont importantes pour faire épaissir la sauce. Dans la crème anglaise, les protéines viennent donc de l’œuf, mais on sait bien qu’il y a aussi des protéines dans les viandes ou les poissons, les crustacés, par exemple.
D’où l’idée des « priestleys » : faire une crème anglaise (plutôt salée que sucrée) en remplaçant l’œuf par une viande, un poisson ou un crustacé finement broyé. Faites donc l’expérience de broyer des langoustines avec une bisque, bien finement, au mortier et au pilon de préférence, au mixer s’il tourne assez vite, puis cuisez comme une crème anglaise… et vous obtenez une sauce qui épaissit. C’est cela, un priestley. Mais, au fait, pourquoi avoir donné le nom de priestley à cette sauce en particulier ? Parce que Priestley était anglais, et que la sauce que j’ai inventée, est en fait dérivée d’une crème… anglaise.
Par Hervé This