Les grappes de tomates vendues en grappe ont une merveilleuse odeur. Pourquoi ne pas les macérer dans l’huile, comme on fait du thym ou du basilic ? L’estragon a un goût remarquable ; pourquoi ne pas le faire macérer dans l’eau-de-vie, puisqu’on y met bien des cerises ? La noix muscade a une saveur merveilleuse ; pourquoi ne pas en ajouter davantage ? Les crosses de fougères ont un goût délicat de noisettes ; croquons-les ? Peler les pommes de terre est une corvée ; et si l’on faisait les frites en laissant la peau ? Les haricots verts crus ont un croquant agréable ; pourquoi se fatiguer à les cuire ?
Continuons la litanie avec une question parfaitement analogue, et dont la réponse est connue : les sels de plomb ont une saveur douceâtre ; pourquoi ne pas les ajouter aux vins, pour leur donner une belle « rondeur » ? Réponse : parce que l’édulcoration des vins par des sels de plomb a délabré l’Empire romain, en causant le saturnisme des élites.
Plus généralement, notre citadinité nous fait oublier que les plantes ne sont pas les amies de l’espèce humaine, sauf certaines qui ont soit coévolué avec les primates (les fruits se seraient progressivement chargé de sucres « afin » de favoriser la propagation des espèces à fruits) ou certaines qui ont été domestiquées (sans confondre la cigüe avec la carotte sauvage, comparez cette dernière, fibreuse, dure, avec la carotte domestique, tendre, gorgée de sucres).
Bref, en matière de consommation de végétaux, c’est de certitudes dont nous avons besoin, avant de nous lancer dans la consommation de végétaux inconnus : la gourmandise fait bien d’attendre les études… parfois longues, et généralement tueuses de rats ou souris de laboratoire.
Ceux qui l’ignoraient –ou qui voulaient l’ignorer : jusqu’où va la gourmandise ?- découvriront que la la majeure partie des « bonnes choses » est dangereuse… mais consommée ! Le mieux à faire, pour s’en convaincre, consiste à croiser la liste européenne et les données des sites internet indiqués par le moindre moteur de recherche.
Ainsi, la première des plantes de la liste est Aethusa cynapium, ou petite cigüe, dont les moteurs de recherche nous montrent immédiatement l’utilisation : un site homéopathique signale que « le “persil des chiens” ou “faux persil” est à l’origine d’un remède homéopathique. Elle contient des alcaloïdes toxiques qui la rendent vénéneuse mais pas mortelle. En homéopathie, Aethusa cynapium est le remède contre l’intolérence [sic] au lait des enfants accompagnée de fortes diarrhées. Aethusa cynapium convient également contre des inflammations de l’intestin chez des adultes » !
Aframomum angustifolium, deuxième sur la liste, est la cardamome du Cameroun, qui contient le 1,8-cinéole, lequel est léthal à des doses de 0,05 millilitre pour l’espèce humaine. Troisième sur la liste, Aframomum melegueta contient de la pipérine, qui est un alcaloïde présent dans le poivre. Hélas, l’ingestion de 0,35 g de graines d’Aframomum par des hommes jeunes a produit des troubles de la vision.
Continuons notre flânerie : l’agastache contient de l’estragole et du méthyleugénol, notamment. Pourtant un des premiers sites référencés en dit : « L’agastache, parfois dénommée “thé mexicain”, possède un parfum très marqué. Froissé, son feuillage exhale une senteur assez forte proche de la menthe ; les fleurs sont à la croisée des chemins entre anis, menthe et réglisse. Outre les thés et autres tisanes, on pourra également employer les feuilles d’agastache pour parfumer crudités, salades, sauces pour les poissons ou même gâteaux. » Ici, c’est l’estragole qui pose des questions étonnantes : cette molécule est présente dans l’estragon, le basilic, l’anis et le fenouil, par exemple, et elle est hépatotoxique et cancérogène. Chez les rongeurs, l’estragole devient toxique à partir de deux grammes par kilogramme de poids corporel… mais, pour la consommation humaine, une limite de cinq grammes par kilogramme est admise. Est-ce bien raisonnable ?
On lit qu’elles sont « stomachiques, apéritives, carminatives, antispasmodique, anti-inflammatoires, antivirales, antiallergiques, etc. et conseillées pour l’aérophagie, les digestions lentes, gastrites et colites, hoquet, la spasmophilie, le mal des transports, les douleurs prémenstruelles, dysménorrhées (règles douloureuses), les crampes et contractures musculaires, les névrites, sciatiques, les toux spastiques, asthme allergique.
Anadenanthera ? Le genre contient des indolamines de la classe des tryptamine, par exemple la bufoténine et des bêta-carbolines, et les graines sont hallucinogènes. Elles sont toutefois en vente souvent avec la mention « les graines vendues ici sont strictement pour l’usage horticole », mais l’information figure à côté d’autres végétaux à usage analogue (pas horticole !).
L’agélique de Chine, elle, se trouve recommandée sur des sites de médecine « naturelle » pour « aborder un programme minceur avec succès ». Pourtant, elle contient 0,2 à 0,4 pour cent d’huile essentielle, avec notamment du safrole (carcinogène chez le rat et la souris), ou des fucocoumarines pas nécessairement bénéfiques.
Artemisia umbelliformis n’est autre que le génépi blanc, utilisé pour la fabrication de liqueurs. Il contient toutefois les thujone alpha et bêta qui ont des actions neurologiques.
Parfois, les dangers sont moindres. Par exemple, l’acide oxalique et les oxalates sont des substances toxiques que l’on trouve dans de nombreuses plantes (cacao, noix, noisettes, rhubarbe, oseille, épinard…) et qui provoquent des irritations locales importantes : l’absorption aisée par les muqueuses et la peau provoque des troubles de la circulation sanguine et des dommages rénaux. Ils peuvent irriter la voie œsophagienne ou gastrique lors de son ingestion et provoquer des dommages rénaux (calculs, oligurie, albuminurie, hématurie), sont mortels à forte dose, les précipités d’oxalate de calcium pouvant obstruer les canaux rénaux. Hélas, pour la tarte à la rhubarbe et le saumon à l’oseille !
Avec la cannelle, on touche le fond, parce qu’il est exact que la cannelle de Chine contient de la coumarine, dont la toxicité est reconnue : dès 2004, l’Aurorité européenne a recommandé une dose journalière acceptable de 0,1 milligramme par kilogramme de poids corporel, et un calcul simple montre que la dose est largement dépassée dans une cuillerée à café de l’épice… d’où l’importance de bien distinguer cette cannelle de la cannelle de Ceylan, sans coumarine. La compétence botanique ne suffit pourtant pas, car la coumarine est également présente dans l’angélique, le céleri, le panais, ou l’herbe de bison, ce qui a conduit les autorités américaines à interdire certaines vodkas … au grand dam des mêmes amateurs qui s’émeuvent de résidus de pesticides.
Arrêtons-la notre liste : nous n’en sommes qu’à la lettre B… et nous avons déjà mesuré l’incohérence de nos comportements gourmands… que nous ne changerons probablement pas !
Par Hervé This