La tomate serait synonyme d’Italie ? Pourquoi pas, mais c’est en Espagne qu’elle est d’abord arrivée d’Amérique, et elle fut cultivée en Espagne, dans le Midi, et en Italie, avant de monter à Paris.
En tout cas, je ne la trouve pas dans les livres de cuisine française avant le 19e siècle : par exemple, le cuisinier Marie Antoine Carême ne la met dans aucune de ses sauces, qu’elles soient « italienne », « piémontaise », « sicilienne » ou « provençale » !
Ce qui est amusant, c’est que, à cette époque, les sauces italiennes, piémontoise, siciliennes, provençales, etc. se caractérisent, au mieux, par de l’ail et de l’huile d’olive.
Puis, quand elle apparaît dans le Cuisinier impérial, en 1806, elle n’entre que dans des recettes de sauces tomate. Là, elle est « acclimatée », puisqu’il y a tout d’abord une « sauce tomate à la française», puis une sauce tomate « à l’indienne », et une sauce tomate « à la bourgeoise ».
En quoi diffèrent-elles ?
Pour la sauce à l’indienne, on cuit des tomates avec du thym, du laurier, du beurre, du sel, du piment et du curcuma ; puis on passe à l’étamine : ce sont le piment et le curcuma qui font la dénomination.
A la française ? Cette fois, on cuit les tomates dans du bouillon, avec sel et poivre, et l’on ajoute du velouté, puis du beurre : la sauce est française parce qu’elle comporte du bouillon, “l’âme des ménage », comme le disait Carême.
Enfin la sauce tomate à la bourgeoise se fait avec tomates, oignons, persil, thym, clou de girofle, beurre ; et, là encore, on passe à l’étamine. Pourquoi la dénomination « bourgeoise » ? C’est manifestement l’oignon et le persil qui imposent la définition.
Cinquante ans plus tard, la tomate est partout !
Chez Urbain Dubois, qui fut un élève de Carême, on la trouve dans des tomates farcies à la provençale, des tomates farcies au gratin, des fritots de poulet à la sauce tomate, des salades de tomates, des potages à la Bourdaloue, des macaronis à la calabraise, des garnitures pour relever, et j’en passe. Elle s’introduit même dans des sauces classiques qui n’en comportait pas, par exemple dans une sauce à la Villeroi. Dubois est pris en faute d’abâtardir une dénomination, et l’on voit l’intérêt de remonter aux livres antérieurs aux siens pour nous faire une opinion sur des préparations classiques. Plus généralement, si nous voulons savoir le fin mot des préparations classiques nées avant le début du 19e siècle, méfions-nous des recettes qui prescrivent l’utilisation de la tomate !
Par Hervé This