La “Power attitude” de Akrame Benallal.

Akrame Benallal, (2* Michelin, 4 toques au Gault et Millau pour son restaurant Akrame et 1 toque pour chacun de ses ateliers Vivanda), c’est un parcours étonnant, fulgurant, conduit par un chef à la tête bien construite, et qui ne s’arrête jamais de créer, d’inventer. Formé au métier près de Blois, Akrame Benallal a débuté sa carrière étoilée à Tours. Aujourd’hui, Akrame Benallal est non seulement chef de cuisine de haut rang mais aussi chef d’entreprise. À Paris ou Hong Kong, le « Prince Akrame » poursuit le développement de son royaume avec générosité, ouverture au monde et passion. Entretien.

 


Akrame Benallal © Dominique Postel -  Nouvelles Gastronomiques de Touraine

Akrame Benallal © Dominique Postel – Nouvelles Gastronomiques de Touraine
Pouvez-vous nous expliquer l’utilisation du mot « power » dans votre communication ?
C’est un mot qui intrigue tout le monde… (rire). J’utilise ce mot de manière spontanée. Il explique mon état d’esprit : je suis toujours dans le « pourquoi pas ? ». Je suis un entrepreneur engagé depuis dix ans maintenant. Ce mot power veut dire beaucoup de choses. Je suis de la génération des trentenaires, celle de la crise, des doutes sur l’avenir. À entendre à longueur de journée les jeunes dire qu’ »on y arrive pas », j’ai envie de leur démontrer le contraire, qu’on peut justement y arriver. Mais qu’il il faut avoir un sacré tempérament pour ne pas se laisser abattre et aller au bout de ses convictions.

C’est aussi pour vous votre méthode pour transmettre votre savoir, votre métier et votre énergie ?

J’ai énormément de jeunes dans ma maison. Mon rôle n’est pas seulement d’être un chef en cuisine et me regarder le nombril, c’est aussi être dans la transmission. On a toujours été plus qu’une équipe, j’ai toujours véhiculé cette idée qu’on est une vraie famille. C’est très important car ces jeunes seront eux mêmes demain les ambassadeurs de cette transmission. Et au final les résultats sont probants. Les jeunes qui viennent travailler chez moi et qui n’avaient pas confiance en eux, grâce à ce type de management, s’en sortent vraiment.

Aujourd’hui vous êtes propriétaire de six établissements, tous développés comme des concepts. Expliquez nous cette démarche ? 
Aujourd’hui il y a Akrame le restaurant gastronomique ; Brut, le bar à fromages ; 3 Vivanda et le corner Mad’leine.
Lorsque je voyage, je ne vois presque jamais de concepts français. Pourquoi ? Parce que peut-être cela n’intéresse pas assez les jeunes chefs. C’est, je crois, une erreur. Qui crée des concepts aujourd’hui en France ? Des jeunes qui sortent d’une école de commerce ! Je dis bravo mais je dis aussi que nous, chefs en cuisine, nous devons aussi saisir cette opportunité.


L'équipe du restaurant Gastronomique Akrame, rue Lauriston à Paris © Dominique Postel - Nouvelles Gastronomiques de Touraine

L’équipe du restaurant Gastronomique Akrame, rue Lauriston à Paris © Dominique Postel – Nouvelles Gastronomiques de Touraine
Comment fait on aujourd’hui pour avoir cette démarche entrepreneuriale en restauration, lorsqu’on sait les difficultés que connaît le secteur?
Je crois qu’il n’y a pas de solution miracle. Par contre je pense qu’il faut savoir s’adapter. Je regarde beaucoup ce qui se fait autour de moi. J’avais vu un jour une interview avec Bruce Lee qui expliquait que si on met de l’eau dans un contenant à thé, elle prend la forme du contenant, dans n’importe quelle contenant l’eau prend la forme, sa conclusion c’était « you have to be water ! ». C’est ça le secret, savoir s’adapter sans cesse, se remettre en question.

Qu’est ce qui fait que des concepts comme les vôtres, bar à fromages, corner Mad’leine, Vivanda,… fonctionnent tout de suite ?
Quand je suis arrivé à Paris, j’avais d’abord construit mon rapport qualité prix et ensuite l’environnement autour. Aujourd’hui c’est ce qui doit être au centre de tout projet. Mieux vaut démarrer petit, et ensuite évoluer vers plus grand, progressivement. J’ai aussi évolué dans ma vision des choses. Dès le départ aussi, j’ai choisi de fidéliser ma clientèle dans tous nos restaurants. Ces concepts sont tous basés sur cette philosophie.

Et le petit dernier ? Le Mad’Leine
C’est une marque que j’ai créée. La madeleine, pour moi, c’est le symbole de la France. Il y a un vrai positionnement autour de cette pâtisserie. C’est aussi un produit qui fait partie de mon enfance, ma mère m’en donnait souvent et j’en ai toujours mangé. C’est un produit facilement exportable et qui plaît à tout le monde. On peut le manger avec un thé, un café, n’importe où, dans la rue… C’est aussi un produit que j’avais envie de développer depuis longtemps. J’ai travaillé sur ce concept pendant 6 mois. Elle se décline en plusieurs parfums. Aujourd’hui nous avons deux kiosques dont un à Lafayette Gourmet, d’autres arriveront bientôt dans les gares notamment.


La salle du restaurant gastronomique, rue Lauriston Paris © Dominique Postel - Nouvelles Gastronomiques de Touraine

La salle du restaurant gastronomique, rue Lauriston Paris © Dominique Postel – Nouvelles Gastronomiques de Touraine
Et à l’étranger ?
Dès le départ ça a d’abord été la vision. Il faut se projeter. Envisager quelle sera la restauration dans 10 ans. Si on veut défendre les valeurs de la gastronomie Française à l’étranger, il faut que la tradition évolue. Mes concepts à l’étranger partent de cette réflexion. J’ai voulu donner de la valeur à mon travail. J’ai d’abord donné une image, un poids au restaurant Akrame, et ensuite j’ai cherché à créer une marque, des concepts duplicables et que je développe désormais a l’étranger.

Y a t- il un art de recevoir à la « Akrame Benallal » ?
Oui il y a un art de recevoir dans nos établissements. Le service est au centre de tout, on en parle jamais assez. Autour de moi j’ai des gens exceptionnels, qui ont toujours cru en moi. On a jamais cherché à faire un service de grande maison, mais un service de qualité en restant décontracté. Un grand service c’est celui qui ne se voit pas.

Et ce service de « qualité mais en même temps décontracté » comment le met-on en place ?
Il faut savoir regarder, observer… et aussi savoir s’adapter à la clientèle et aux situations, ne pas intervenir toutes les cinq minutes… Etre discret et en même temps être là au bon moment. En même temps appliquer cet esprit de décontraction pour donner l’impression de recevoir comme« à la maison ». Mais il faut se mettre à la place que client, qui est tout le temps sollicité, en dehors de son temps de travail. Et que sommes-nous pour eux ? Nous sommes là pour leur faire du bien. Quand ils arrivent chez nous, il doivent pouvoir se laisser guider…


En cuisine comment cette adaptation se traduit elle ?
J’ai du mal à parler de « ma » cuisine, vraiment. Je travaille bien sûr sur une identité culinaire. C’est une cuisine unique, mais ce n’est pas moi qui le dit. Les gens me disent souvent, ce qu’on mange chez vous, on ne le trouve pas ailleurs… Mes plats sont très personnels et j’aime qu’on sente que j’ai une vraie signature. J’essaye de sortir du courant des cuisiniers qui sont sur un même registre. J’aime surprendre avec de l’inédit, j’adore l’improvisation , associet des saveurs originales. C’est une cuisine de risque aussi. Pour autant, la saisonnalité des produits est au cœur de mes créations. Il y a toujours de l’âme de la spontanéité ça pulse tout le temps …

C’est quoi une cuisine de risques ?
Par exemple On fonctionne sans carte, on a que des menus.(De 60€ à 130€ – Menu coup de cœur (4 services), Gourmand (6 services) et Amis du Midi, 3 services le midi uniquement, NDLR).Alors oui le client doit se laisser guider et nous faire confiance… Mais il y a toujours quelque chose qui prime c’est le goût. Notre clientèle est habituée à cela. Avec le temps j’ai appris à ne pas tout imposer. Pour les viandes par exemple on les laisse choisir entre trois viandes… et en fonction de leur choix, on compose le menu. Vous savez, le vrai risque existe plutôt avec les menus « imposés » : car au bout de la 3e fois, lorsque les clients retrouve le même menu, ils se lassent…

Vous êtes aussi très sensible aux questions liées à la restauration responsable. Comment cela se traduit il dans votre organisation en cuisine, dans vos différents établissements ?
On ne peut pas être à 100% sur une restauration responsable. Ce n’est pas vrai. Tout dépend de l’environnement ou l’on se trouve. Mais si chacun fait un petit peu c’est déjà énorme. Quand on peut le faire, on le fait. Mais par exemple dans mon restaurant à Hong Kong, comment je fais pour avoir la totalité des produits de ma cuisine sur place ?


La pâtisserie Mad'Leine, dernier concept d'Akrame Benallal © K. Rauzy

La pâtisserie Mad’Leine, dernier concept d’Akrame Benallal © K. Rauzy
Comment concrètement vous adhérez à cette nouvelle manière de travailler ?
Des petits gestes : je suis en train de réfléchir à la gestion des déchêts par exemple, à mettre en place pourquoi pas un système de compost pour le restaurant. On travaille ici avec des produits qui viennent le moins loin possible. Mais il ne faut pas tomber dans l’excès inverse. Certains produits étrangers sont aussi excellents, comme les poissons de Méditerranée, certaines viandes comme celle en provenance d’Irlande.. Par ailleurs, dans mes cuisines on ré-utilise tout autour du produit, dans les légumes par exemple on garde le maximum pour réaliser des consommés.Et par exemple je n’assaisonne quasiment plus mes plats, mais j’utilise le produit à l’extrême, pour réaliser mes marinades par exemple…

C’est aussi une manière de cuisinier en préservant la santé de ses clients ?
C’est surtout cela qui me préoccupe. Pour les gens qui viennent manger chez moi, c’est proposer des plats avec des beaux produits, avec le moins de gras possible, le moins de sel possible. Arriver à la quintessence du produit.

Par Dominique Postel
Crédits Photos : Dominique Postel ; DR

Akrame – 19 Rue Lauriston, 75016 Paris – 01 40 67 11 16
Vivanda – 18 Rue Lauriston, 75016 Paris – 01 40 67 10 00 ; 20 rue du Cherche midi, 75006 Paris, 01 45 44 50 44
Brut, cave à vins et fromages – 22, rue Lauriston – Paris 16e – 01 45 53 65 82
Mad’Leine – Corner pâtisserie -Centre commercial Beaugrenelle – Bâtiment Magnetic (1er étage) – 12, rue Linois – 75015 Paris
www.madleine.fr[http://www.madleine.fr


Mot à mot avec…. Akrame Benallal

© DR

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A la façon d’un abécédaire, le chef Akrame Benallal, livre quelques ses définitions personnelles de quelques mots qui lui ressemblent…

Amour : je dirai : solidarité. Donner aux autres. C’est de cette façon que je conçois mon métier.
Art : c’est vital. L’Art pour moi c’est l’expression par excellence, une inspiration permanente.
Distinctions : ce n’est pas fini… Il faut être bon tout le temps. Mais il ne faut pas que cela devienne un but en soi : les étoiles c’est simplement la reconnaissance de votre travail.
Famille : c’est la fondation de ma vie, et aussi la raison de ma réussite aujourd’hui.
Joie : ce qui me rend joyeux c’est de me retrouver tous les jeudis ici, au restaurant, avec quelques copains chefs. Il y a un esprit de fraternité, de partage que j’adore.
Loisir : tout ce qui en en lien avec l’automobile : Formule 1, Kart…j’adore !
Producteurs : ils tiennent une place importante dans ma cuisine. En fromages par exmple, pour ma cave à vins Le Brut, je me fournis encore chez un fromager de Touraine Rodolpe Le Meunier.
Medias :ils sont très importants. C’est devenu maintenant « normal », : il faut qu’on vive avec. Il faut aussi qu’on apprenne à travailler en bonne intelligence avec eux.
Selfie : j’en fais beaucoup, mais moins que Guillaume Gomez (rires). C’est une nouvelle ère.. Mais il n’y a rien d’arrogant dans les selfies..
Rêve : je rêve de pouvoir demain ouvrir un restaurant avec des copains cuisiniers, en lien avec les Restos du Coeur. J’ai moi même fais la queue aux Restos du Coeur, donc je sais ce que c’est . C’est un moment difficile dans mon parcours mais qui est en même temps merveilleux. A l’époque je me disais « il me donne à manger gratuitement, ouahh ! » Donc avoir un restaurant type Auberge, où des personnes bénéficiaires des Restos du Coeur, pourraient venir manger sans être gêner, ça oui c’est une envie que j’ai depuis longtemps.

Akrame Benallal en quelques dates
Né en France en 1981, Akrame Benallal, vit les treize premières années de sa vie en Algérie, près d’Oran.
1995. Arrivée à Tours. Akrame, 14 ans, entre en apprentissage à Molineuf (Loir-et-Cher).
1996 à 1999. L’Orangerie du Château de Blois.
1999. Pierre Gagnaire (3 étoiles Michelin).
2000. Restaurant Élysées du Vernet, à Paris (VIIIe).
2004. Saison à El Bulli chez Ferran Adrià (Catalogne).
2005. Chef au Château des sept tours à Courcelles-de-Touraine.
2009-2010. Chef du Trendy Lounge (devenu L’Atelier d’Akrame), à Tours. Il est fait « Grand de Demain » par le guide Gault & Millau mais le restaurant souffre d’un lourd passif financier et doit fermer.
2011. Ouverture du restaurant Akrame, rue Lauriston à Paris (XVIe)
2012. Première étoile au guide Michelin. Ouverture de l’Atelier Vivanda (bistrot à viandes) face au restaurant Akrame.
2013. Ouverture du restaurant Akrame à Hong Kong. A Paris, toujours rue Lauriston, ouverture du Brut, cave à vins et bar à fromages.
24 février 2014. Seconde étoile Michelin.
2015 : ouverture de trois autres Corner Beef à Paris et Hong Kong