En 2021, Nicolas Stamm et Serge Schaal fêtent les 100 ans de la Fourchette des ducs. En préambule des réjouissances, imprégnons-nous de l’histoire des lieux et des prédécesseurs. L’identité culturelle d’une région se définit par ses restaurants, marqués par l’histoire, la guerre, et la tradition. Ces institutions ont traversé le temps, inscrivent dans leurs colombages, les stigmates de leur âge.
Tel un musée du vivant, le restaurant réunit dans un espace-temps, le passé et le présent, conférant au lieu un charme d’antan, authentique et artistique.
Du Clos Saint-Odile à la Fourchette des Ducs
Ensemble, ils l’ont conduite à l’excellence, l’inscrivant dans le cercle très fermé des Grandes Tables du Monde, accrochant deux étoiles au guide Michelin.
« Nos clients nous racontent qu’autrefois ils venaient en famille, et qu’il y avait une salle de bal. C’était the place to be pour les Obernois et habitants du Piémont », mentionne Serge Schaal.
A La Fourchette des Ducs, la décoration fait partie intégrante de l’histoire du restaurant. Nicolas et Serge ont décliné deux ambiances, la salle d’été, dénommée Baccarat, « sans apparat » offrant un théâtre baroque et contemporain avec d’élégantes tentures épurées. Des pièces murales sombres, intensément chics s’invitent pour souligner le coté boisée de la salle, rehaussant de plus belle, la cristallerie Baccarat, déclinées en appliques murales, lampes sur pied créées par Arik Levy, les photophores Baccarat dessinés par Philippe Starck.
Du Kunschthafe à la Stamm de Nicolas …
« Nous avons fait don au musée René Lalique à Wingen-sur Moder de la belle verrerie gravée du visage de Saint-Odile. Il y avait tout un service Art de la table, qui avait été fait en 1920 », explique Serge Schaal. Feuilletant le livre du Kunschthafe, Nicolas poursuit : « Nous retrouvons des objets et tableaux appartenant au restaurant. Le Kunschthafe était un stammtisch Strasbourgeois né en 1890, qui rassemblait les personnalités politiques et artistiques alsaciennes, dont Henri Loux et Charles Spindler.
Depuis trois ans, nous travaillons à la réalisation d’un service d’Obernai en exclusivité pour la Fourchette des Ducs. Nous renonçons à la scène paysanne centrale du bassin de l’assiette, comme le réalisait Henri Loux, mais nous conserverons la frise florale avec les primevères et capucines, attribuées à la ville d’Obernai. C’est un travail de longue haleine, que nous finaliserons, pour célébrer les 100 ans de la création de la Maison (1921-2021) ».
Une cuisine d’histoire et de territoire
Fervent défenseur du terroir, il propose une cuisine rassurante et nourrie de traditions. Engagé avec conviction dans cette promotion, il soutient les producteurs locaux, valorise leur savoir-faire, et préserve l’identité culinaire alsacienne, afin de lutter contre l’uniformisation et la mondialisation. Sa carte est élaborée avec des produits issus en majorité du travail des producteurs locaux, « de mon territoire », précise-t-il.
Il y raconte avec envie et passion l’origine des recettes, leur histoire et évolution, citant le Dampfnudle (petits pains cuits à la vapeur) à déguster avec son plat de volaille ou ce Baerewecke (petit pain alsacien constitué de fruits secs et de fruits confits macérés dans de l’eau-de-vie) avec son foie gras de canard en provenance de la Ferme Schmitt, également éleveur de la fameuse poule noire d’Alsace. « Nous soutenons cette race ancienne aujourd’hui protégée, qui fait partie de notre du patrimoine alsacien. Je suis livré d’une quarantaine de pièces seulement par an », précise le chef.
C’est à Hoerth qu’il cherche ses asperges, à la ferme Riedinger ses pommes de terre, tomates et oignons, chez Théo Kieffer ses pigeons en saison, à la boucherie Riedinger-Balzer ses pièces de bœuf et de veau, à Westhoffen ses cerises, à la ferme Christen ses fraises et framboises, citant également l’utilisation du safran d’Alsace et le Raifort d’Alelor. Le pain, élaboré avec de la farine d’Alsace certifiée Bio, est fabriqué sur place dans la nouvelle boulangerie de la fourchette des Ducs, en duo par Jessy Rhinn-Auvray (promotion Passion Dessert du Guide Michelin) et Morgann Senant , boulangere».
Parmi ses plats « signature », une ode à l’Alsace avec le sandre, sauce Riesling et sa choucroute. « Quelle belle victoire que l’obtention de notre IGP européen », se réjouit-il. « Saviez-vous que 90% de la production européenne de chou à choucroute provient du canton d’Obernai ? », se félicite-t-il. « Nous cuisinons pour donner du plaisir, des émotions, qui sont libérées quand elles font appel aux souvenirs, à l’enfance, aux recettes de grand-mères, puisées dans nos racines alsaciennes. Ce sont des madeleines de Proust. J’aime revisiter les plats de notre patrimoine culinaire, mais version grand chef ».
Démonstration faite dans son menu « Essence de Terroir ® », qui voit défiler la raviole de purée de petit-pois du Kochersberg et truffe, crème de truffe et beurre noisette, puis la fameuse volaille d’Alsace « à la Strasbourgeoise » et la « Forêt-Noire », glace à la vanille Bourbon, Griottines « Peureux » à l’Eau de Vie-de-Kirsch Massenez ».
En 2018, nous avons ouvert la table du chef, baptisée « Invitation Privée », une sorte de Stammtisch moderne et chic, la « Stamm » de Nicolas Stamm », sourit Serge Schaal. La table du chef, située au premier étage, au-dessus du restaurant, est ouverte le midi (quand le restaurant est fermé), réservée à 8 convives au maximum.. C’est un nouveau concept de réservation, privatisé, personnalisé. « Nous sommes allés jusqu’au bout de notre raisonnement, celui de créer un lien intime entre le chef et les convives ». Intime ? Mais nous ne croyez pas si bien dire, Nicolas et Serge vous accueillent véritablement dans leur salon et leur cuisine ».
Le programme des festivités du centenaire sera bientôt dévoilé.
« Cultive tes racines et plante-les dans les étoiles » disait Tomi Ungerer
Par Sandrine Kauffer-Binz
Crédit photos ©Christophe Hamm et ©Cookandshoot