Ce n’est pas un livre professionnel, mais il mériterait de l’être : La Bonne Cuisine de Madame Saint Ange a été publié en 1925, et il est bien mieux, bien plus précis que bien des livres de cuisine, à commencer par le Guide culinaire… que je n’aime pas pour de nombreuses raisons, mais notamment parce que ce livre confond émulsions et mousses, et aussi parce qu’il propose l’utilisation de moutarde dans les mayonnaises, ce qui en fait des rémoulades. Dans bien des cas, le Guide culinaire est à l’origine d’une perte de savoir technique, et je crois que cela est grave. Enfin, seul le nom d’Escoffier demeure sur les éditions ultérieures du livre, alors qu’il fut écrit par Emile Fetu et Philéas Gilbert, Auguste Escoffier ne signant qu’en troisième. Bref, je préfère le livre sans prétention de Madame Saint Ange, qui sépare bien les gestes. Je crois qu’il ferait un merveilleux manuel.
La température idéale
Bien sûr, de tels tests doivent être très prudents, car les chasseurs savent – dit-on- reconnaître la cuisse sur laquelle le faison se repose. Nous aurions pu avoir des différences dues seulement à la différence de filet des pigeons. Pour pallier cette difficulté, nous avons cuit ensemble trois faisans, en levant, dès le sortir du four, le filet gauche du premier pigeon, le filet droit du deuxième pigeon, et le filet gauche du troisième pigeon.
Pour chaque filet, nous coupions soit en petits dés, soit en lamelles, afin de voir un effet éventuel de la découpe.
Les trois pigeons étaient cuits ensemble, dans le même four (professionnel), à la température de 175 °C, choisie par les cuisiniers professionnels présents, pendant un temps également choisi par les professionnel, de 25 minutes.
Pour chaque pigeon, nous retirions un filet dès la sortie du four, et nous le découpions, tandis que l’autre filet restait sur la carcasse. Et c’est seulement quand le pigeon avait refroidi que nous retirions le second filet, et que nous le découpions comme nous avions découpé le premier.
Observons que les pigeons avaient été vidés et habillés. Pour avoir un ordre de grandeur qui fixent les idées, un pigeon non vidé pèse environ 450 grammes, et il perd environ 100 grammes quand on le vide, ce qui le ramène à 350 grammes, carcasse comprise.
Cette différence est-elle gustativement perceptible ?
Au total, à la fois les mesures de masse et les test sensoriels semblent montrer que la précision culinaire due à Madame Saint Ange est juste, mais il faudra des confirmations.
A noter que cette précision s’accorde avec la théorie, qui est la suivante : la viande est comme une éponge qui est pressée par la chaleur, ce qui en fait sortir les jus ; et quand la viande refroidit, elle réabsorbe des jus, comme une éponge.
Si l’on coupe un filet à chaud, le jus en sort, parce que la viande se contracte. En revanche, si un filet reste adhérent à la carcasse, il se rétracte moins, et, mieux encore, les jus qui auraient tendance à sortir sont concervés. Cet effet irait de pair avec la cuisson des viande sur l’or, ou des poissons sur l’arête.
Pourquoi ces tests ne seraient-ils pas faits, par exemple, dans les lycées hôteliers ? Je me tiens évidemment à la disposition des enseignants pour les aider à préparer et analyser leurs tests, s’ils ont envie d’en faire.
Car c’est ainsi que la cuisine de demain sera encore plus belle que celle d’aujourd’hui !
Par Hervé This