Je sais : j’ai déjà discuté de crème brûlée, mais on m’interroge à nouveau, et je suis conduit à approfondir le travail précédent.
La crème brûlée ? Dans ce nom, il y a « crème », pour lequel certains s’interrogent : met-on un accent grave ou un accent circonflexe ? Il est vrai qu’on a parlé jadis de « cresme », et que la disparition du s a généralement engendré un accent circonflexe ; de ce fait, certains dictionnaires écrivent crème. Mais l’Académie française a tranché : pas d’hésitation, on utilise l’accent grave.
Ce point de détail étant réglé, il reste des idées imprécises qui courent à propos de notre bonne vieille crème brûlée, à savoir qu’elle serait dérivée de la « crème catalane », ou qu’elle s’en différencierait par des proportions différentes, ou encore que ce ne serait pas une crème parce qu’elle serait confectionnée à partir de lait, et ainsi de suite : la consultation des sites en ligne montre tout et n’importe quoi.
Rien ne vaut la consultation des textes anciens… et c’est ainsi que, dans le Dictionnaire des aliments et des vins publié par François-Alexandre Aubert de La Chesnaye Des Bois en 1750, on trouve une recette de crème brûlée, sous ce nom, que voici :
« Délayez bien, dans une casserole, 4 ou 5 jaunes d’oeufs avec une bonne pincée de farine, et peu à peu versez-y du lait (environ une chopine), ajoutez-y un peu de cannelle en bâton et de l’écorce de citron vert haché et d’autres confits. Cela fait, mettez la crème sur un fourneau, remuant toujours de peur qu’elle n’attache. Etant cuite, versez-la dans un plat sur un autre fourneau, où vous la ferez cuire encore jusqu’à ce que vous voyez qu’elle s’attache au bord du plat ; alors ôtez-la de dessus le feu ; poudrez-la de sucre par dessus, outre celui que vous mettez dedans. Prenez la pelle bien rouge, brûlez la crème jusqu’à ce qu’elle prenne une belle couleur d’or. Pour garniture, servez-vous de feuillantine, de petits fleurs on meringues, ou autres découpures de pâte croquante».
Cette description réfute le fait que la crème brûlée soit réservée à des professionnels, sous prétexte qu’ils n’auraient pas eu de fer à crème : en réalité, dans le temps, chacun avait une cheminée, et des pelles dedans. Ensuite, il faut observer que cette crème brûlée est vraiment ancienne : le dictionnaire dont je tire la recette date de 1750. Est-ce la plus ancienne mention d’une crème brûlée, dans la cuisine française ? Certains font remonter la crème brûlée à François Massialot, en 1705 , et, encore avant, en 1691 : d’ailleurs, le texte précédent est la copie quasi conforme de la recette de Massialot… mais est-ce une invention de Massialot ? Rien ne l’indique, et, sans certitude, il vaudrait mieux être un peu prudent. La seule chose sûre, c’est que l’on confectionnait des crèmes brûlées avant le 18 e siècle, qu’on y mettait des agrumes et qu’on la servait avec une garniture croquante ou croustillante. La feuillantine ? Là encore, j’ai fait un texte terminologique précédemment, et il faut penser à du feuilletage sucré.
Bon, cette fois, cela devrait faire l’affaire, non ?
Hervé This