Je me réjouis pour le lard, pour les lards devrais-je écrire. Car il y a le lard de poitrine et le lard blanc prélevé dans le gras du dos. Il est encore appellé bardière. Ce dernier n’est constitué que de gras ferme et bien blanc. En Italie, il est transformé en lard de Colonnata. Tous les gastronomes le connaissent et les meilleurs cuisiniers le mettent en scène.
Inspiré par les gastronomes transalpins, et constatant l’importance et l’abondance du gras que mon cochon de 340 kilos a mis à ma disposition, je décide de singer la méthode italienne…
Voilà donc que je sale ces blancs et épais morceaux pendant cinq jours. Puis je recouvre chaque pièce d’un véritable tapis de romarin frais, d’origan et de sarriette. J’empile les morceaux, couenne sur gras, dans un épais pot en grès. Chaque jour, je soulève le couvercle pour renifler les suaves effluves. Ma cave voutée est parfumée. Merci Monsieur cochon. Mais en attendant de laisser fondre ce gras noble sous ma langue, il me faudra patienter encore quatre mois, le temps que les chairs brutes se réincarnent en nourriture rare et exquise.
Dans mon lard, il n’y a que la couenne à retirer et encore, elle parfume un bouillon ou joue son rôle au fond d’une braisière.
Pendant huit jours, matin et soir, je caresse et masse la pièce. Un kilo de sel parfumé suffiront amplement à l’assaisonner. Puis j’installe le morceau, suspendu dans le fumoir. Cette année, il y est resté un mois. La prise de fumée dépend de la température extérieure et de l’humidité de l’air. Plus il fait froid, moins la pièce s’imprègne de la quintessence de la fumée, car je pratique de façon intégriste le fumage à froid. A la scierie du village, je cherche de la sciure de résineux, mêlée suivant les coupes et les arrivages de bois, de quelques essences feuillues. Un tas de sciure se consume généralement en une vingtaine d’heures et ne dégage pratiquement pas de calories. Dans ce fumoir que j’ai construit, pas de tirage et point d’évacuation des fumées. Celles-ci s’échappent entre l’interstice des planches.
Un peu de diététique!
“Frotter le lard ensemble”. Cet expression, un peu brute de décoffrage il est vrai, signifie faire l’amour. Rabelais (le papa de Gargantua…) l’emploie dans Pantagruel: “(…) qu’il sera heureux celui à qui vous accorderez la grâce de prendre dans ses bras cette femme, de l’embrasser et de frotter son lard contre le sien”…
Par Daniel Zenner
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