Daniel Zenner “Ode à la choucroute d’Alsace” (2/2)

Continuons donc notre promenade dans l’enquête gourmande sur la choucroute d’Alsace…

Larousse Médical. Edition 1918. 1300 pages. Lettre C

Définition du mot choucroute : “chou blanc découpé en lanières, puis empilé dans un tonneau par couches entremêlées de couches de sel et de divers aromates et comprimé pendant une vingtaine de jours. Il s’établit une fermentation lactique. La choucroute est un aliment indigeste; néanmoins, il est des estomacs paresseux auxquels cet aliment convient, en raison même de son acidité et de la présence des principes aromatiques.”

Mercuriales hebdomadaires de Strasbourg, Compte-rendu de l’administration de la ville de Strasbourg 1919-1935. 1392 pages
Prix du chou à choucroute à Strasbourg le 25 janvier 1935
Prix moyen à la pièce : 1.80 francs.
Pour avoir un élément de comparaison, le chou-fleur est à 2.50 F comme le chou rouge; le bœuf au kilo 4.40 F et le porc 6.20 F. Il est à noter que le prix de la viande était bloqué par arrêté municipal.

Nombre d’hectares en production de choux à choucroute (Weisskraut) sur le territoire communal de Strasbourg de 1920 à 1934 (sur 2936 ha de terres labourables en 1900; 2014 ha en 1920; 1800 ha en 1925 et 1667 ha en 1934.
1920: 35.70 ha
1925: 28.31 ha
1934: 17.35 ha

Larousse Ménager. Edition 1926. 1262 pages. Lettre C

Choucroute: le mode de préparation y est parfaitement décrit. Cette façon de traiter le chou est appelée: conserve de choux salés.

Voici la recette de la choucroute à l’alsacienne:
“Mettre dans une marmite à pot-au-feu la choucroute préparée, avec du bouillon à mi-hauteur; ajouter du saindoux, un verre de vin blanc. Cuire une heure; puis ajouter du lard fumé et cuire encore deux heures. Il ne doit plus rester de liquide dans la choucroute. Servir avec des saucisses, du saucisson, du jambon fumé, des pommes de terre en robe de chambre”
Voici une recette qui se rapproche de celle qui est aujourd’hui couramment réalisée en Alsace. Les pommes de terre sont en “robe de chambre” et non pas en “robe des champs”…

Le livre de cuisine de Madame Saint-Ange. Librairie Larousse, édition 1927, 1375 pages. Page 823

Extraits: ” La saveur de la choucroute dépendant de sa fraicheur comme de sa qualité, ne pas l’acheter chez un marchand qui, vendant peu, garde son tonneau longtemps en conservation”
“La cuisson de la choucroute exige un temps dont on n’observe généralement pas la durée. Dans les familles de l’Est, où ce plat est courant, on estime à cinq heures environ le temps de cuisson nécessaire pour assurer la parfaite digestibilité des choux”
Ce n’est pas la première recette qui insiste sur l’indigestibilité des choux, ce qui est faux. Ce sont les graisses et les viandes ajoutées qui en font un plat dur à digérer! La choucroute crue, avec un peu de miel, du carvi grillé, une huile d’olive ou de noix est une pure merveille parfaitement digeste.

La Cuisine du Monde Entier. Robert Jean Courtine 1963. Page 95

Recette de La Choucroute comme à Colmar :
500 g de choucroute – 1 oignon – 2 cuil. de graisse d’oie – 1 dl de vin blanc – 1 pomme – 10 baies de genévrier – 300 g de lard de poitrine – 2 cl de kirsch – 500 g (ou plus) de pommes de terre – 1 côte de porc par personne – saucisses de Colmar.
Cuisson en terrine en terre.
Toujours dans ce livre: Charles Monselet (1825-1888) poète et écrivain, surnommé par ses contemporains “Le Roi des Gastronomes” à écrit une ode à la choucroute.
“Et pourquoi pas? bien macérée, Avec des grains de poivre rond, Pour maintes poitrine altérée Elle est un solide éperon.Durant tout un mois préparée Par le genièvre fanfaron, Mince et discrètement dorée, Telle elle plait au biberon.Au terme d’une longue route, Heureux qui trouve la choucroute
Aux douces pâleurs d’albinos, Fumante et parfumant l’auberge,
Et se serrant comme une vierge, Contre son compère le moos”.

L’Ancienne Alsace à Table. Charles Gérard. Edition Alsatia 1971

Extraits: “L’habitant et le met sont aussi anciens l’un que l’autre, conséquemment perdus dans la nuit profonde des temps qui couvrent aussi le chou pommé blanc. Cependant, pour ceux à qui une date quelconque pourrait faire plaisir, je remarquerai que le Kreutterbuch de Jérôme Bock (édité en 1539) parle de la choucroute comme d’une chose comprise depuis longtemps dans le domaine de l’alimentation vulgaire. Lorsqu’il énumère les travaux d’hiver de la prévoyante ménagère, il se borne à cette mention significative dont le laconisme éloquent est le plus sûr témoignage de l’antiquité de la choucroute: “Der Cappes ist eingesaltzen” Vous l’entendez, le chou est salé.”
Jérôme Bock conseille aussi de boire du jus de choucroute (saure Cappesbrue) et de manger de la choucroute pour soigner l’estomac de ceux qui travaillent beaucoup. Il précise aussi que la choucroute donne de l’appétit et apaise la soif.
Le médecin Français Maugue écrivit cette phrase un peu leste sur les Alsaciens: ” Ils font aigrir de ces gros choux pommés après les avoir fait hacher; ces choux font les délices de la table et la principale nourriture “des naturels du Pays”.
Ce médecin a écrit en 1726 ” Histoire naturelle de la province d’Alsace”
“Nos anciens épiçaient, plus fortement que nous ne le faisons, cette conserve végétale. Leur recette était plus riche que la nôtre. Je crois que nous n’en avons gardé que les baies du genévrier, et je suis tout à fait certain que nous en avons proscrit la graine d’aneth. Chez les pauvres la sarriette faisait presque tous les frais de ce condiment. La choucroute était déjà alors le mets consacré du dimanche, et il était accueilli avec un plaisir tout particulier lorsqu’il apparaissait avec l’ornement d’un puissant chapelet de saulsisses qu’ils aiment beaucoup et qu’ils y mettent en quantité…”
“Legrand d’Aussy ne parle point de ce mets, mais il lui rend indirectement hommage en remarquant que de son temps déjà le chou de Strasbourg était compté parmi les espèces les plus renommées”

Le Livre d’Or de la Bonne Cuisine Françoise avant 1914. Philippe Sers 1984. Page 28

Recette de la choucroute telle que l’on pouvait la déguster en 1914 à Paris, à la taverne Montmartre (ancienne maison Pousset)
Plat de Choucroute Fumante et Odorante
“Bien lavée, étendez votre choucroute dans la casserole de la façon suivante: Une couche de choucroute, poivre et genièvre en grains; une couche de saindoux; une nouvelle couche de choucroute; oignons et carottes émincés; bardes de lard; saucisson et crosses de jambon. Mouillez avec de l’eau, de manière qu’elle ne sèche pas et qu’elle reste bien blanche. Laissez cuire deux bonnes heures. Dressez avec saucisses de Frankfort ou de Strasbourg, tranches de jambon et pommes de terre cuites à l’eau. Servez bien chaud.”

L’Art Culinaire Français. Edition originale 1950. Librairie Flammarion.

Coécrit par les plus grands chefs du milieu du XXème siècle. La choucroute y est mentionnée deux fois. Page 868 pour la recette “Choucroute à l’Alsacienne” La formule y est assez classique et le légume est lavé.
Page 985, la méthode pour réaliser soi-même la choucroute est donnée: “Prendre de gros choux bien serrés à cœur blanc; le quintal d’Alsace est celui généralement employé en Alsace…”
Voilà qui me fait plaisir car en 1950, on utilisait encore essentiellement le quintal d’Alsace, cette variété de chou qui a bien failli disparaître. Il ne reste plus aujourd’hui que quelques producteurs résistants qui mettent cette variété à l’honneur.Dans le cadre de l’IGP, une liste de variétés de chou à mettre en culture est établie. Plusieurs objectifs qualitatifs sont définis en termes de : qualités agronomiques, sensibilités aux nécroses, qualités choucroutières (facilité de coupe, homogénéité, dimensions, aspect…)
Concernant le goût de la choucroute, le cahier des charges en parle en ces termes: Caractéristiques de la choucroute crue: Couleur blanche à jaune clair, odeur franche au nez, caractéristique du chou fermenté, légèrement croquante. Goût légèrement acidulé.
En tant que nostalgique des goûts des choses du temps passé, je me permets de poser une question: la choucroute crue issue d’un chou “quintal d’Alsace ” ayant poussé dans les mêmes conditions qu’un chou ayant été cultivé par nos grands pères, a-t-il un goût, une odeur, une saveur différente des variétés aujourd’hui plantées en plaine d’Alsace?Et maintenant, un peu de poésie en vous livrant les doux noms des variétés “officielles” cultivées en Alsace, issues du génie de nos ingénieurs agronomes: Almanac, Alsior, Ambrosia, Atria, Brigadier, Burton, Cabton, Jubilée, Landini, Liberator, Mandy, Megaton, Novoton, Padoc, Puccini, Ramco, Ramkila, Sepdor, Theras, Tobia et Transam.

Tout cela ne manque-t-il pas cruellement d’un peu de poésie?
Laissons donc nos ingénieurs agronomes manger de la choucroute industrielle en boite, qui comme chacun le sait, ramollie la cervelle et encrasse les neurones. Continuons, nous Alsaciens, à manger sous toutes ses formes un des plus merveilleux légume: la choucroute crue d’Alsace!

Par Daniel Zenner