Jusque ici, j’ai discuté de termes anciens, afin de savoir les utiliser et, aussi, de bien retrouver l’idée artistique derrière des recettes qui avaient été bien malmenées, souvent abâtardies. Car rien de pire, en quelque sorte, que cette « créativité » au rabais qui consiste à remplacer du beurre par de la crème dans une sauce, par exemple (pourquoi pas par du lait, tant qu’on y est), ce qui en change entièrement le caractère qui l’a rendue célèbre. Ou qui consiste à remplacer des amandes par des noisettes dans un gâteau, du vin rouge par du vin blanc dans une préparation… Bref, on sait combien je propose de respecter les vraies innovations, en imposant à ceux qui modifient une recette de changer le nom, sous peine de « déloyauté ».
Et j’ai confiance que, souvent, c’est par ignorance de l’histoire de la cuisine que nous tombons dans l’erreur, pas par malhonnêteté. N’ai-je pas moi-même, jadis, parlé de « mayonnaise de chocolat », pour évoquer une émulsion où j’avais proposé de remplacer l’huile par du chocolat fondu ? Ma terminologie était maladroite, car une « mayonnaise » est définie légalement, internationalement, d’une part, mais, mieux encore, elle a été introduite il y a longtemps, et sous une forme qui la détermine absolument : jaunes d’oeuf, vinaigre, sel, poivre, huile, un point c’est tout. Il fallait donc introduire un nouveau nom, qui n’utilise pas celui de mayonnaise : après tout, si nous sommes si « créatifs » (décidément, je n’aime pas ce mot prétentieux, pourquoi ne pourrions-nous pas introduire aussi des dénominations nouvelles pour des préparations nouvelles ?
Les würtz : des mousses qui tiennent
Il y a des cas plus simples, où l’on invente des préparations qui n’ont rien à voir avec ce qui s’est fait dans le passé, et là, il faut évidemment un nouveau nom.
C’est le cas de la préparation que j’ai nommée un « würtz » (on prononce « vurtse »).
La recette est la suivante, par exemple pour un würtz à la fraise :
1. laver des fraises (contrairement à ce qui est parfois dit, j’ai démontré expérimentalement que cela n’enlève pas de goût)
2. les mixer avec jus de citron, sucre et eau de fleur oranger
3. dans le jus, faire tremper des feuilles de gélatine (compter)
4. chauffer très rapidement, sans donner le temps de cuire, juste pour dissoudre la gélatine
5. à l’aide d’un batteur, foisonner rapidement, pour avoir le plus de mousse possible
6. stocker au froid, pour faire prendre la mousse en gelée
C’est cela, un würtz, mais pourquoi ce nom ?
Parce que Charles Adolphe Würtz était un merveilleux chimiste alsacien, qui s’intéressa aux protéines. Un de ceux qui comprirent les premiers que parler d’ «albumine », c’est ouvrir la porte aux confusions. Et c’est lui qui créa l’Institut national agronomique, à une époque où la question des engrais était enfin mieux comprise.
A noter que, partant de ce würtz (aux fraises, à l’orange, de bouillon de volaille, de cidre, de fumet de champignon, de bisque de homard…), on peut mixer encore, pour avoir une consistance plus souple, et l’on obtient un « debye »… mais je présenterai cette préparation-là une autre fois.
Par Hervé This